intitulé

3

posté le 11 December 2007 à 19:29
01/02/03

Il l'avait revue le lendemain soir, étonnamment. Alors qu'il flânait aux alentours de la place de la Bastille, sans but précis, sans trop penser ; laissant machinalement ses chassures le guider. Qu'il suivait ses pieds.
Soudain, ses chaussures s'étaient arrêtées ; elle était là. En face, tout près, à la devanture d'une petite librairie qui avait plus ou moins conquis le trottoir à force d'y déborder, elle feuilletait un livre, profondément absorbée. Bien qu'elle fût camouflée, l'hiver aidant, sous plusieurs couches de vêtements, il la reconnut aussitôt : son profil l'avait trahie, imprimé qu'il était au plus profond de sa rétine. Quel tableau ! Elle, trahie par sa beauté - lui, doutant de sa raison. Car ces choses-là n'arrivent que dans les films ou les mauvais romans, il le savait, son coeur le lui soufflait : dans la vraie vie, le hasard ne mange pas de ce pain-là. Aussi, interdit, ne savait-il pas quoi faire : l'aborder, lui parler, il le fallait ; mais comment ?
Le temps passait, elle pouvait partir à tout moment. Il ne voulait pas risquer de la perdre à nouveau, lui qui avait du mal à croire qu'elle était là ; il traversa la rue. Ce devait être son jour de chance : les conducteurs réussirent à l'éviter, et il parvint jusqu'à elle.
Ce qu'il lui dit précisément n'a guère d'importance, et serait, retranscrit, dénué de sens. Il balbutia un peu, sourit beaucoup, prononça quelques phrases et en dit beaucoup d'autres ; elle, d'abord étonnée, se prit au jeu de l'inconnu. Elle avait une voix charmante, un peu grave : ils parlèrent longtemps dans le froid.
Trois semaines plus tard, car les ellipses temporelles ont ceci de bon qu'elles laissent l'inexprimable pur puisqu'inexprimé, il se réveilla à ses côtés. Délicatement, veillant à ne pas troubler son sommeil, il se leva, la regardant toujours, et enfila des habits en silence ; puis il s'assit à la table non loin et, noircissant avec soin feuillet après feuillet, il mit la touche finale à ce qu'il écrivait. Il écrivait sur elle.

Quelques heures plus tard, il finirait étendu sur l'asphalte, sans vie. Déchirée, inconsolable, elle finira par l'oublier, petit à petit, et se mariera quelques années plus tard. Il ne lui ressemblera pas.

2

posté le 29 November 2007 à 18:23
01/02/03

Huitième feuillet.

"La rencontre ? C'était au théâtre, un soir de première. J'étais parvenu à obtenir un billet, comme par miracle, et je me retrouvai bientôt assis au milieu des dorures et du velours omniprésents, un peu perdu parmi tous ces gens très distingués venus se réjouir d'un Faust pas très malin. Ce n'était pas un spectacle très courant pour moi, je vous prie de le croire ; aussi, je passai plus de temps à observer la faune dans les gradins que les comédiens en dessous.
Pour la plupart, ils étaient assez laids, j'en ai peur : déplacés dans ce faste, incongrus dans leurs beaux habits, c'était un beau panel de disgracieux nantis ; un balcon débordant de crapeaux en frac qui s'esbaudissent en choeur. Avec le recul, je peux bien l'avouer, ils me fascinaient, ces monstres. On eût dit un bestiaire obscène, où des animaux improbables paradaient sans bouger, affichant un air fat et la panse bien remplie.
C'était un peu après l'entracte, alors que, sur scène, le bon docteur courait à sa perte, que je l'ai aperçue. Je crois bien que la pièce, plus bas, n'était guère captivante, puisqu'elle baillait. Elle avait capté mon regard alors qu'il survolait la corbeille, et déjà je ne pouvais plus l'en détacher; Gretchen peut bien aller au diable, et le monde entier la suivre ; jamais, je crois, je n'ai rencontré quelqu'un à l'ennui si gracieux. Je ne pense pas être en mesure de lui rendre justice avec de simples mots, aussi n'essaierai-je pas de la décrire ; mais elle n'était pas belle, puisque "belle" est un mot. Je la regardai en silence, absorbé, jusqu'à ce que les hurrahs tout autour me signalent la fin ; le lobe de ses oreilles, ses boucles entremêlées, le contour de son nez, je les ai encore à l'esprit maintenant, alors que j'écris. Et pourtant, lorsque les lumières revinrent, je me sentis spolié : j'avais encore soif de son visage, de ses yeux, de sa bouche ; je n'avais pas bu tout mon soûl encore à son image.
Elle se leva, puis, comme si ce n'était après tout qu'un geste anodin, banal, elle sortit de sa loge. Quoi ! Elle me privait de sa vue, elle m'arrachait à sa contemplation, et cela ne la touchait en rien ? Comment pouvait-elle être si insensible, si indifférente à ce qu'elle m'infligeait ? Pour elle, j'avais oublié les acteurs, oublié les tentures et le faste ; on ne sevre pas un homme de la sorte ! Et pourtant, elle s'était levée, et déjà elle n'était plus là.
Un homme se rue vers la sortie, bouscule quelques êtres-redingotes qui tentent de protester, outrés ; un homme franchit la porte, quitte la chaude lumière et se précipite, éperdu, dans l'ombre de la rue. Mais il faut croire que les anges marchent vite, car cet homme ne la voit nulle part; cet homme est seul, et il a froid. Et j'ai froid."

1

posté le 20 November 2007 à 18:24
01/02/03

"J'avais décidé de commencer ce récit de manière fulgurante, avec une de ces phrases coup de poing qui accrochent le lecteur et le clouent à son siège, avide de découvrir la suite. Malheureusement, je n'en ai trouvé aucune."
Il s'interrompit et posa la liasse de feuilles sur la table. Les premiers rayons du jour, du moins ceux qui avaient échappé à la brume et à la crasse qui obcurcissait les vitres, venaient caresser son visage, adoucissant quelque peu la fatigue et l'usure de ses traits.
Un mouvement, du côté du lit, le fit se retourner.
"J'ai faim".
Il contempla la femme. Elle venait de se réveiller, et la couverture enroulée lui formait une sorte de cocon d'où n'émergeaient que son buste et ses bras nus. L'oreiller avait, quant à lui, quasiment disparu sous l'assaut de ses cheveux ébouriffés.
Il lui sourit, et ce sourire le fit, un moment, paraître presque jeune, effaçant d'un coup toutes ces années qu'il n'avait pas.
"Ne bouge pas, je vais chercher le petit déjeuner."
Oubliés, les feuillets couverts d'encre et de ratures, et la nuit de travail : le voilà qui descend les escaliers quatre à quatre, le voilà qui, pensant d'avance à ce qu'il lui dira, en revenant, choisissant ce qu'il allait lui ramener, ouvre la porte, se dirige vers la boulangerie, tout près.
Le voilà qui entend le crissement des pneus, trop tard ; et le voilà qui vole, et le voilà qui meurt.

L'accueil de l'asile.fr Les blogs sur l'asile.fr S'abonner au flux RSS des articles

Rechercher

Quelques mots ...

Lecteur, avant toute chose, je me dois de t'avertir du contenu de cet encart. Je ne vais pas m'y étendre sur ce que je suis ou ne suis pas. Non pas pour ne pas t'ennuyer, c'est le cadet de mes soucis pour le moment, et puis ça arrivera tôt ou tard ; mais pour ne pas trop en dévoiler. Ce blog est le mien, et en tant que tel m'est dédié de long en large : me dépeindre — ou tenter de le faire — en quelques mots serait, plus qu'une erreur, un mauvais calcul. Et je déteste faire de mauvais calculs, ça me frustre.

Articles importants