La Fuite (chapitre 1)

posté le 03 May 2007 à 19:08
Chapitre 1

Cette fois-ci, c'en est trop ! Conclut Joseph au milieu d'un de ses innombrables examens. Il fit une boule de sa feuille de papier, se leva, prit la boule, la jeta sur le professeur, se précipita vers la fenêtre, l'ouvrit, sauta. Quelques minutes après, il courait sur le trottoir trempé, des gouttes s'aggripant dans ses cheveux, libre. Voilà longtemps qu'il s'était imaginé cet instant, sans vraiment espérer jamais le vivre. Mais il l'avait fait. Ses chaînes, ainsi que sa vie, avaient été brisées en quelques secondes, une barrière avait été enjambée, il ne savait pas qu'un précipice se trouvait de l'autre côté : dorénavant, il ne pouvait revenir en arrière. Certes, il lui aurait été possible de retourner de là où il venait, de se faire excuser ce petit accroc par moultes courbettes, mais c'était surtout dans son esprit que tout avait pris une nouvelle couleur, qu'il vivait sous le soleil d'un jour nouveau qu'il se voyait mal éteindre déjà.
Il rentra chez lui, ses parents n'étaient toujours pas là, eux. L'occasion était rêvée, il avait le terrain libre. Joseph entra dans sa chambre, vida son sac de ses nombreux livres, et le prépara à recevoir les outils de sa nouvelle vie. Il allait fuir, sa décision était faite. Rien ne le retenait, tout le poussait à quitter cet univers : bientôt il quitterait le doux nid familial, les responsabilités se feraient de plus en plus nombreuses et oppressantes, complexes. Il allait devoir travailler, pour de bon. Faire son service militaire, payer ses impôts, voter, se trouver une copine, s'assurer une relation stable, construire de nombreux contacts avec un monde hostile, histoire d'y survivre...
Tout cela l'ennuyait profondément : sa nature paresseuse, habituée à la détente et la facilité se refusaient à un tel mode de vie. Inutile d'insister, répétait-il aux restes de sa conscience, je ne m'enfoncerai pas dans cette boue qui s'assèche et se solidifie avec le temps ! Je veux vivre léger, profiter de plaisirs stupides, m'amuser plus que m'ennuyer. Tu ne m'obligeras pas à cet ennui simplement parce que tu aimes suivre les coutumes, conscience, simplement parce que tu as peur de faire autrement que l'on t'a dit.
Ainsi monologuait-il, et ce faisant terminait son sac. Quelques habits, mais pas grand chose, inutile d'en porter trop. Des livres, s'était-il demandé ? Peut-être, mais lesquels ? Ou lequel, pire ! Impossible de choisir, tant pis, il ferait sans. Au dernier moment, il y enfonça tout de même Voyage au bout de la Nuit, sentant au fond de lui-même qu'il s'agissait du livre de circonstance. Il était loin d'avoir le pessimisme d'un vrai littéraire, mais ne pouvait s'empêcher d'apprécier les histoires au goût désabusé. Après avoir rajouté quelques victuailles à son sac, rassemblé ses économies avec satisfaction, il s'attaqua au dernier point : la musique. Il ne pouvait définitivement pas partir sans musique. S'il avait dû choisir, il n'aurait pris que cela, et c'était un peu ce qu'il avait l'impression de faire : il quittait sa famille, sa chambre, son lycée, sa ville, ses copains (pas ses amis, il n'en avait pas vraiment, tout du moins pas à son sens), tout ce qu'il se permettait d'emporter, c'était de la musique. Il fourra son lecteur mp3 dans sa poche, ainsi qu'un lecteur cd à piles dans son sac, avec les nombreux cds qu'il considérait indispensables. Des piles, bien sûr. Enfin, son départ arrivait : il laissait presque tout derrière lui, sans se rendre vraiment compte des conséquences sur son petit monde, mais certainement au courant des effets sur son esprit.
Depuis très longtemps, il pensait s'échapper : après avoir - comme certainement tous les athées qui n'ont pas peur - considéré le suicide, il s'était rendu compte que tant qu'à faire, il pourrait partir pour un pays lointain, explorer le monde, avant d'en finir définitivement avec lui. Cette solution lui avait toujours semblée lointaine, bien que présente, comme une porte de sortie à quelques pas de là, qu'il n'envisageait pas vraiment d'emprunter, mais qu'il était tout de même heureux de savoir là. Joseph n'avait aucune destination précise en tête, au fond, sa seule limite était son imagination, aussi niais que cela lui paraissait. Tant qu'il y aurait des gens pour prendre des autostoppeurs, et des bateaux pour prendre des marins... Mouse, cela se faisait-il encore ? Comptait-il vraiment quitter son continent ? Impossible à dire maintenant. Il verrait bien.
La pluie était toute tombée et le soleil l'avait remplacée lorsqu'il sortit pour la dernière fois de chez lui. Laisser une lettre à ses parents ? Bah ! Il partait, ne les reverrait plus, à quoi bon ? Se rendait-il vraiment compte du mal qu'il leur ferait ? Mais maintenant qu'il y pensait, il reviendrait sûrement un jour. Il ferma la porte, fit quelques pas, hésita à se retourner, ne le fit pas. Il s'en voulut d'hésiter, maintenant qu'il croyait tout fuir, même les hésitations - surtout les hésitations !
Le soir, fourbu d'une longue marche - jamais il ne lui avait semblé marcher aussi longtemps, il s'arrêta à un arrêt de bus. Il avait atteint la métropole la plus proche, grande fourmillière de laquelle il ne pensait que piétiner les trottoirs. "Vous m'avez l'air fatigué, jeune homme !" lui lança un autre jeune homme qui attendait visiblement le bus, ou qui appréciait peut-être la vue des grands buildings gris depuis un banc en bois vermoulu. "Ouais, j'ai marché toute la soirée", répondit Joseph.
- Et vous allez où comme ça ?
- Dieu seul le sait ! dit Joseph avec un sourire. Il considéra l'étranger, qui ne devait pas avoir vingt ans, mais son regard n'était pas bovin comme celui de la plupart des jeunes que Joseph avait connus auparavant. Il se tenait un peu courbé, la main sur le genou.
- Dieu ? J'en doute... Vous comptez vraiment prendre ce bus, si vous avez marché toute la soirée ?
- Pas vraiment. J'ai de l'argent, mais pas du genre que l'on gaspille pour les transports en commun. D'ailleurs, je ne sais pas où dormir cette nuit, et je pensais que cet arrêt ferait l'affaire...
- Vous comptez dormir ici ? A votre âge ? Mais, vous avez pas des parents ? Une maison ?
Joseph se rendit soudain compte qu'il risquait de découvrir sa fugue, et qu'il contacterait peut-être la police, histoire de le dénoncer. C'eut été tout de même trop bête de s'arrêter si tôt... Alors qu'il hésitait à répondre, l'individu le devança :
- Tu fugues, toi, pas vrai ? Il rit. T'inquiète, je sais ce que c'est. Moi-même, ça m'est arrivé une fois, mais je n'ai pas pu m'empêcher de retourner dans ma famille. Tu ne tiendras pas longtemps.
- On verra ça, mais en attendant, ma décision est prise, et je vais dormir ici...
- Allez, fais pas ton désespéré, je t'invite chez moi ce soir. J'ai un petit appartement pas loin, cinq minutes de bus, tu verras, on y est bien ! Je suis à l'uni de la ville, en lettres.
S'il n'avait pas ajouté ça, Joseph n'aurait certainement pas considéré son offre. Mais les littéraires étaient tous des fainéants, c'était bien connu : ils se comprendraient sûrement.
- Quelle offre sympathique ! J'accepte. Moi, c'est Joseph, si jamais.
- Simon. Voilà le bus, tu viens ?
Alors qu'ils entraient dans le bus, Joseph ne put s'empêcher de se sentir veinard : il venait à peine de quitter le nid familial que déjà la chance lui souriait.







2007 devient donc officiellement l'année où j'ai le plus écrit de toute ma vie. Si ça intéresse quelqu'un, j'écrirai la suite (j'ai déjà un peu commencé), sinon, je l'écrirai quand même, na ! :)
Et à propos, le dernier album de Travis est sorti, ils restent Travis, donc c'est bien.
tags : fuite, texte

Commentaires

hohun a dit :
posté le 03 May 2007 à 19:11
Cette fois-ci, c'en est trop ! Conclut Joseph au milieu d'un de ses innombrables examens. Il fit une boule de sa feuille de papier, se leva, prit la boule, la jeta sur le professeur, se précipita vers la fenêtre, l'ouvrit, sauta.


http://filinfo.france3.fr/popup_afp.php?nameRegion=lpc&id=%20070503094121.1us4tnpt

Fixateur a dit :
posté le 03 May 2007 à 19:35
Haha =)
Je pense qu'il n'est pas nécessaire de préciser qu'il était au premier étage, hein. Et sinon, merci d'avoir lu les deux premières phrases, au moins, c'est déjà ça !

hohun a dit :
posté le 03 May 2007 à 19:40
Non, je l'ai lu, et j'ai l'impression que tu aimes bien les (anti-)héros naïfs, non ? :)

Ceacy a dit :
posté le 03 May 2007 à 19:56
Quelques corrections mineures, parce que ton clavier t'a fait quelques coups en vache :
"s'agrippant", pas "s'aggripant"
"sa nature paresseuse [...] se refusaient" -> "refusait"
"Mouse" -> "Mousse"

Sinon, "La pluie était toute tombée", ça sonne un peu bizarrement, AMA.

Deuxième partie : le texte lui-même. L'ensemble donne une impression de rapidité : tout s'enchaîne très vite (en soi, ce n'est pas un défaut).
Le vouvoiement de Simon me choque un peu, mais là, ça dépend : je n'ai juste pas l'habitude de me faire vouvoyer par les jeunes de 20 ans, donc j'imagine que ça devrait faire la même chose à Joseph.

Ah, et sinon, dis-moi : par hasard, tu ne ferais pas une petite transposition sur Joseph ? :)

(et je suis bien partant pour avoir la suite, moi).

Fixateur a dit :
posté le 03 May 2007 à 23:46
Hohun & Ceacy : Ouais, j'aime bien le personnage du héros, et au fond je suppose qu'on a tous rêvé un jour d'être à sa place...

Ceacy : Merci pour les corrections, le "toute tombée" est effectivement bizarre, DONC c'est un effet de style. Donc je laisse. Pour le vouvoiement de Simon, je comptais sur une remarque de Joseph, mais en fait, non. De toute façon, ça ne va pas durer longtemps entre eux, et puis ces temps je vousoie ceux que je ne devrais pas, ai-je l'impression, ça doit avoir un rapport inconscient... (note qu'il le tutoie à partir du moment où il se rend compte qu'il fugue !)

KtuLulu a dit :
posté le 04 May 2007 à 14:45
Si j'étais Joseph, je me méfierai d'un mec qui m'invite chez lui après si peu de temps. M'est avis qu'il va pas tarder à lui demander si il aime Wow.

Rhum1 a dit :
posté le 04 May 2007 à 17:00

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