aphorismes

Aphorismes (1)

posté le 16 May 2007 à 16:55
Ecole et existentialisme - Il pourrait nous venir une objection a priori justifiée, alors que nous observons le système de notation scolaire : quoi, mettre des notes aux enfants - aux Hommes ? Quelle folie ! Qui sommes-nous donc pour juger notre prochain, pour le noter, et ainsi créer une hiérarchie ; le but de l'école est d'enseigner, pas de classer les hommes sur des échelles !
Mais l'école - ainsi que celui qui a réfléchi à la situation - répond : je ne juge pas les élèves, je juge leurs travaux. Loin de moi l'idée de diviser les hommes, je ne fais que pointer du doigt leurs défauts et leurs qualités, afin qu'ils s'améliorent : mes notes sont là pour les encourager à continuer, à progresser. Un mauvais élève n'est pas mauvais en soi, c'est son travail qui est perfectible, parce que l'élève n'aura pas assez travaillé. Tous sont capables de réussir, tant qu'ils travaillent suffisamment.
C'est là le discours de l'école publique en tout cas, telle que nous la connaissons certainement tous, y ayant passé de nombreuses années. Mais ne trouvons-nous pas dans son discours nombre de smilitudes avec une doctrine philosophique, au point que l'on pourrait accuser l'école d'adhérer à ladite doctrine : l'existentialisme ? En effet, la philosophie de Sartre ne semble-t-elle pas être semblable à la logique de nos écoles publiques : l'homme en lui-même n'est rien, seul son acte compte, tous ont des capacités, mais peu importent les capacités, si elles ne sont pas utilisées ?
Sartre semblait à la fois pris de pitié et de haine lorsqu'il parlait des hommes qui n'avaient rien fait de leur vie, mais qui se rattrapaient en disant : j'aurais pu, mais le destin en a voulu autrement, je n'ai pas eu de chance, etc. L'école suit la même logique : peu importe la capacité, si le travail n'est pas là, l'élève écopera d'une mauvaise note.
Cette réflexion peut paraître bonne et adaptée à l'école, mais on remarque vite que les (innombrables !) critiques qui s'appliquent à l'existentialisme s'appliquent également à l'école. Faire fi des hasards et des circonstances, c'est provoquer une injustice : les enfants d'intellectuels n'ont-ils pas plus de chances de réussir que ceux qui sont nés dans des familles pauvres, dont les parents n'ont pas fait d'études ? Pourquoi celui qui a un grand QI obéit-il au même système de notation que celui qui a un QI faible ? La vérité, c'est que celui qui est plus intelligent devra travailler moins que celui qui n'a pas été intellectuellement favorisé par la nature, ou par son éducation passée, par son expérience...
Mais où nous mène cette vision des choses, me direz-vous ? A une conclusion simple, bien qu'effrayante : l'école prétend ne se préoccuper que des actes, pas des hommes ; et c'est là tout son drame. Car on ne peut pas juger seuls les actes, puisqu'il y a toujours un homme pour les faire, et que cet homme ne peut être tenu responsable de ce qu'il est. Le déterminisme - auquel tente d'échapper philosophiquement Sartre, au fond (quelle folie !) - nous retient de juger quoi que ce soit : les hommes, parce qu'ils ne décident pas ce qu'ils sont (cette absence de décision commence par le simple fait de ne pas choisir d'exister), ni ce qui leur arrive - donc ni leur inné, ni leur acquis ; et leurs actes, parce que ces actes dépendent directement d'eux-mêmes, donc de quelque chose dont ils ne sont pas responsables.

De la difficulté du déterminisme - Le déterministe parvient, lorsqu'il a réféchi avec prudence, à bon nombre de conclusions particulières, auxquelles il a parfois du mal à s'habituer. Tout d'abord, et c'est la plus effrayante, l'absence de liberté chez l'homme. L'homme agit parce qu'un certain nombre de choses le poussent à agir, il obéit à une logique de laquelle il ne peut s'affranchir, comme un objet qui tombe ne peut échapper à la gravité, et ne pourra tomber que dans un sens. Il y a toujours des raisons à ses actes, et ses raisons ne peuvent être de sa responsabilité : il ne choisit pas qui il est, ce qui lui arrive. On veut croire qu'il choisit au moins ce qu'il fait, mais là encore, le déterministe secoue la tête : non, il ne choisit pas, car il n'a pas d'emprise sur les raisons qui le poussent à agir.
S'il mange, c'est parce que son instinct le pousse à manger ; s'il va travailler, c'est parce que son instinct le pousse à survivre, et que sa raison entrevoit que la meilleure façon de survivre, c'est de travailler ; s'il réfléchit, c'est parce qu'il ne comprend pas, et parce que là encore, la logique darwiniste veut que celui qui réfléchisse le plus survive - donc il est habitué à réfléchir, et réfléchit. Il n'est responsable de rien, et cette vérité est également corroborée par le monde en lui-même : le temps est linéaire, et ce que nous vivons, nous ne le vivons qu'une fois ; ainsi nous n'avons jamais de choix, puisque nous prenons toujours une seule décision lorsque nous avons un choix à faire (même si nous choisissons de ne pas agir, il s'agit toujours d'un choix).
Mais si l'homme n'est pas responsable, nous ne pouvons pas le condamner - nous ne pouvons plus enfermer les brigands, punir ceux qui le méritent, répondent avec horreur les plus effrayés ; votre philosophie supprime toute morale, monstres ! ajoutent-ils avec colère. Là encore, le déterministe qui a poussé sa réflexion jusqu'au bout, peut leur répondre avec grandeur (car le déterminisme est un système philosophique logique, le système de compréhension ultime de tout ce qui existe, au fond - même si nous avons de mal à nous faire à sa logique) : Non, ma philosophie ne nie pas toute morale, elle ne fait que changer son essence, mais ne remet pas en question son existence. Quelle est donc cette nouvelle morale, me direz-vous ? Elle est bien simple : nous ne jugeons pas les hommes parce qu'ils sont libres et qu'ils ont fait un mauvais choix, nous les jugeons parce que si nous ne les jugeons pas, ils recommenceront. Or, en les jugeant, nous ne faisons que leur appliquer une nouvelle détermination, qui va les empêcher de mal agir à nouveau. Car le but est le même : empêcher le nuisible de nuire à nouveau. Le moraliste chrétien prétend qu'il a eu le choix, mais qu'il a mal agi, et qu'il faut le punir pour cela ; le déterministe prétend qu'il a agi d'une façon qui ne convient pas à la société, et que la société réagit afin de l'empêcher d'agir mal à nouveau.
Cette nouvelle façon d'envisager la morale implique une remise en question totale de l'éthique telle que nous la concevons, mais pas dans ses conclusions (presque au contraire, dirais-je), seulement dans sa logique réflexive. Cependant, tant qu'il y aura des hommes, et donc des croyants, l'humanité ne se verra jamais composée de déterministes. Toute la religion chrétienne suit les affirmations du bien, du mal et d'une liberté de choix entre les deux, qui sera punie en fonction du choix fait. A ses yeux, le déterminisme passera toujours pour une philosophie dangereuse et laxiste, plus à même d'excuser ceux qu'elle punit - au point même qu'elle ne les accuse pas. Ce qu'il est intéressant de constater, c'est que la religion chrétienne est presque hargneuse dans ses condamnations : elle en veut à ceux qu'elle punit, sa punition, telle la punition divine, est foudroyante, sans pitié. La morale déterministe, quant à elle, fait office de morale calme, posée : elle ne punit pas, elle réagit simplement pour le bien de la société, elle est la tranquille force qui existe par besoin, pas par violence.
Ainsi, contrairement à ce que certaiens auraient pu penser, le déterministe rend plus humain que le christianisme...


On notera avec étonnement que c'est dans le train que je suis le plus productif.