orage

L'orage

posté le 21 May 2007 à 22:22
Le soir avait été rattrapé par l'orage, et les nuages avaient fait leur oeuvre. La nuit était déjà là, mais une lumière sombre et légèrement verdâtre planait tout de même encore sur la ville. Bien que cette dernière avait sursauté lors des premiers coups de tonnerre, elle s'était bien vite habituée aux chocs de lumière qui, périodiquement, l'éblouissaient. Alphonse adorait l'orage : il avait l'impression que la nature se fâchait avec violence et fracas, qu'elle hurlait et explosait sur ce qui la dérangeait, qu'elle s'efforçait de submerger sous des flots noirs le monde des hommes...
Dans son esprit, cette opération était étrangement indissociable des explosions lumineuses et sonores. Une petite pluie grise sans éclairs, c'était mélancolique, triste, pénible ; pour le réjouir, il fallait aux moins de grands traits brillants pour strier le ciel, dont les flashs photographiaient ses semblables, les prenant sur le fait, coupables. C'était lorsque Zeus en personne s'invitait sur Terre sous la forme de harpons foudroyants qu'Alphonse appréciait l'extérieur plafond de sa vie ; dans tous les autres cas, les faits et gestes du ciel l'ennuyaient ou le déprimaient. Pas seulement la petite averse tristounette, comme c'est le cas chez la plupart des gens, mais aussi le grand ciel bleu des beaux jours, la nuit légère et étoilée, les crépuscules rougeâtres aux nuages plissés, semblables à de doux tapis qu'on n'aurait pas déroulés complètement, les troupeaux de cumulus orange qui peuplent parfois les espiègles printemps...
Au milieu de la panoplie de répliques que pouvait arborer ce monde indépendant du bon vouloir de l'humanité, il n'y avait que la tempête passionnée qui séduisît vraiment et durablement l'âme d'Alphonse. Elle était comme une maîtresse impitoyable, aimante et punissante. Au fond, s'il avait pu choisir, il aurait volontiers écrasé cette civilisation sous la violence du ciel, noyé les hommes dans leurs immeubles rugueux, sans même en sauver un de chaque sexe...
Contre la vitre, les cadavres de gouttes d'eau ne trouvaient même plus la force de glisser. Derrière elle, le néant ; il y faisait si sombre qu'on en aurait cru la lumière aspirée par un étrange maléfice, et Alphonse serait peut-être allé s'y mirer si sa chambre avait été mieux éclairée. Dorénavant, le soleil ne tenterait même plus de percer les nuages, qui régnaient ainsi en maîtres sur la ville plongée dans le noir jusqu'au petit matin.
Couché sur son lit, il observa quelque peu son plafond blanc : uniforme et lisse à distance mais instable, creusé par un million de vers invisibles vu de près, caractéristique inhérente au solide crépi blanc qui recouvrait la plupart des maisons dans lesquelles il avait mis les pieds, sans trop d'exception, s'il se souvenait bien.
Il se retourna, ventre contre matelas, laissa pendre un instant son bras à côté du lit en bois vernis, soupira. Le bras pendant se mit tout à coup à remuer, sans but apparent, présentant de nombreuses similitudes avec la démarche anarchique de ces fourmis qui se déplacent souvent sur le béton en été, inconsciente, imprévisible. Il cherchait. Pendant un instant, il ne se rappela plus exactement quoi, mais lorsqu'il planta sa main sur la punaise rouge qui se trouvait parmi la poussière volumineuse peuplant le dessous de son lit, il se souvint. Il cherchait de la déchirure, du sang, une violence qui avait disparu, maintenant que l'orage était passé. Il s'endormit, exténué, du sang coulant sur son parquet, des larmes coulant de ses yeux.
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