La voisine
Loi n°1 de la vie en appartement : si le loyer est bas et que l'appart' a l'air bien sous tous rapports, ce n'est pas de la chance, il y a forcément un truc louche que vous découvrirez après la signature du bail. En partant du principe que ça arrive à moi, il fallait forcément du pittoresque, un truc qu'on ne verrait pas tous les jours, une obsession qui vous empêcherait de dormir la nuit.
Premier jour
J'ai donc emménagé au début du mois de septembre avec un pote dans un nouvel appartement. Clean, plutôt classe, pas cher pour Lyon (450 euros les 50 m²). A part une toute petite fenêtre dans les toilettes qui donne sur le palier (quelle drôle d'idée), du tout bon, signé presque de suite. Qui a dit que les grandes villes étaient hostiles ? La cage d'escalier est certes vétuste mais on n'y vit pas, l'appartement est donc une très bonne surprise comparé à ses environs immédiats. Les voisins (c'est un palier de 4 portes) ont l'air calmes, si pas inexistants. Seule demeure une grosse tâche sur le haut de la porte de mes potentiels voisins. Etrange tâche..un fruit éclaté ? Qui ferait ça ?
Deuxième jour
Quelqu'un a laissé un sac plastique contre le mur, sur le palier. La curiosité est un vilain défaut. Dieu merci, je n'ai pas de défauts.
Troisième jour
En rentrant dans l'immeuble, une odeur étrange me prend à la gorge. Qu'est-ce que c'est que ça ? Un mélange de sueur, de litière inchangée et d'alcool...l'odeur semble devenir plus forte à chaque palier...
...ça vient d'à côté de chez moi ?
Quatrième jour
Plus de doute, un gros crasseux s'amuse à pourrir la cage d'escalier. A côté du sac plastique repose désormais une cage pour transporter les chats, d'où semble provenir une partie de l'odeur.
Cinquième jour
Alors que je profitais du panorama depuis mon troisième étage, une main est sortie de la fenêtre de chez mes voisins. Une main ridée, apparemment féminine. Mon coloc me dit qu'elle écrivait un texte invisible dans le ciel, mais même aujourd'hui je reste persuadé qu'elle dirigeait un orchestre fantôme. En me penchant un peu, je remarquai que les bordures de leurs fenêtres étaient tapisées de traces glauques.
Cinquième jour, dans la nuit
La porte d'à coté s'ouvre, on entend une vieille femme parler sur le palier. Ses grognements me résonnent encore dans les tympans. Plus proche de l'animal que de l'humain, je n'arrive pas à distinguer ce qu'elle dit. Elle rentre chez elle en claquant la porte.
Sixième jour
Les sacs poubelle s'entassent sur le palier. L'odeur ne part plus.
J'ai ouvert les fenêtres pour aérer, son odeur rentre chez nous par fenêtres interposées. J'ai fermé les fenêtres pour aérer.
Septième jour
Retour d'Ikea : « Bon, je vais garer la voiture, tu remontes le meuble ? »
Ils devraient vraiment installer un ascenseur dans ces putains d'immeubles anciens. Arrivé au troisième étage, au prix de quelques heurts bruyants dans les escaliers que je regretterai énormément par la suite, je posai le meuble pour déverrouiller ma porte.
J'ai vu pas mal de trucs choquants dans ma vie, mais rien d'aussi déviant que ça.
La voisine, sûrement aux aguets derrière sa porte, ouvre et vient me parler. Enfin, se parler.
Petite, rabougrie, la cinquantaine bien ridée, habillée n'importe comment. Le regard vide, les yeux qui ne clignent jamais. Les dents du bas ont apparemment déserté depuis bien longtemps.
Et une grosse mare de sang sur le front.
« Elle s'est broyée le crâne avec un objet contondant, putain qu'est-ce que je fais ??? »
Elle me parle, je ne comprends pas un mot.
« Du sang ? C'est trop noir pour être du sang ! »
Elle était apparemment en train de se faire une teinture quand elle m'a entendu arriver sur le palier. Comment elle a réussi à imiter si bien une blessure au crâne restera un mystère. Peu importe : je n'arrivais pas à me dire que ce n'était pas du sang. Son salmigondis immonde était maîtrisé à l'extrême. Des flashs d'une vie de souffrance et de paranoïa gravés au prix d'une perte de lucidité qui me faisait remonter chaque fois à la blessure. Puis re-réaliser. Puis ré-oublier. Jamais paroles incohérentes n'avaient semblé si logiques.
Ses incantations faisaient leur effet : j'étais tétanisé. Sans l'intervention de mon colocataire, bien moins sensible à ce genre de choses, j'y serais encore.
Septième jour, en soirée
Je suis aux toilettes. Elle est sur le palier, à réciter à qui veut l'entendre ses incantations de déchéance. Impossible de faire un geste...elle pourrait m'entendre.
Septième jour, pendant la nuit
Elle ouvre et claque sa porte toutes les 10 minutes. Elle parle, gémit, crie des noms. Elle rentre. Elle ressort. Invoque sans succès le démon de la solitude nuit après nuit.
Elle appelle parfois ses chats. Leurs noms tout mignons forment des ombres menaçantes à la lumière de sa diction pervertie.
Demain, je sortirai de chez moi en silence. Je tirerai la porte sans faire de bruit, tournerai la clé très doucement en restant attentif à tout signe de vie. Puis je partirai avec hâte.
Pourvu qu'elle ne sorte pas. Elle me mangerait.
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