Hier, je me promenais dans le rayon livre d'un supermarché à la recherche de ma future lecture. Dans le rayon livres de poche, mon regard a été accroché par un titre qui a fait surgir bien des souvenirs en moi. et un souvenir attendri.

Des cornichons au chocolat.

C'est mon adolescence qui est remontée d'un coup avec ce titre. L'histoire d'une adolescente comme les autres, qui voit ses copines petit à petit devenir adultes, parce que ça y est, "elles les ont". Le livre date de 1983. J'ai du le lire quelques années plus tard, mais pile au moment où je pouvais m'identifier à son auteur, une certaine Stéphanie.

En revanche, ce qui ne collait pas, c'était le nom de l'auteur... Philippe Labro ! Ca fait bizarre, tout de même.

Je n'avais pas retenu ça à l'époque, mais il avait prétendu avoir mis au propre les carnets de Stéphanie. Ce qu'on sait depuis peu, donc, c'est que ce n'étaient pas des carnets ; c'est un véritable roman.

En fait, le livre a été réédité en 2007 sous son vrai nom, parce qu'il a écrit deux autres romans, dont "Des cornichons au chocolat" pourrait être le premier tome de la trilogie
Manuella en 1999 et Franz et Clara en 2006

Les trois sont des romans écrits à la première personne du singulier, où le je est une femme.

J'ai lu la préface du livre publié sous son nom. elle est touchante. Philippe Labro y admet qu'à l'époque, il y avait pour lui d'un côté la grande littérature (à laquelle il pouvait apposer son nom) et de l'autre une littérature plus légère (pour laquelle il devait prendre un pseudo).
Il s'excuse aussi auprès de toutes les adolescentes de ma génération qui ont pu écrire à la maison d'édition en disant qu'elles se reconnaissaient en Stéphanie (il n'a pas voulu rentrer davantage dans le jeu en répondant au nom de Stéphanie à ces correspondance), et signale qu'il espère que ces ados de l'époque, proches maintenant de la 40aine, le comprendront et ne lui en voudront pas.

Je ne fais pas partie de celles qui ont pu écrire à l'époque, mais je me suis vraiment sentie concernée par cette préface...

Ce matin, j'entendais à la radio que la mère d'une victime de Montigny-lès-Metz assignait l'Etat pour "fonctionnement défectueux du service de la justice" consécutif à "une faute lourde" et à "un déni de justice". Petit rappel des faits.


- 29 septembre 1986 Deux enfants de 8 ans, Cyril Beining et Alexandre Beckrich, sont retrouvés morts, le crâne fracassé par des pierres le long d’une voie de garage SNCF.
- 28 avril 1987 Un jeune voisin, Patrick Dils, 16 ans, avoue le crime.
- 27 janvier 1989 Malgré ses rétractations, Dils est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
- 27 mars 1998 L’avocat parisien Jean-Marc Florand, apprenant la présence du tueur en série Francis Heaulme sur les lieux du crime, demande et obtient une révision du procès.
- 29 juin 2001 Contre toute attente, Dils est à nouveau condamné à Reims.
- 24 avril 2002 Patrick Dils est acquitté à Lyon en appel. Il aura fait quinze ans de prison.

Aujourd'hui, alors que Francis Heaulme devrait bénéficier d'un non lieu, les familles se sentent en détresse, aucune personne n'ayant été reconnue coupable de ce meurtre

Une femme porte donc plainte contre l'Etat pour avoir bâclé l'enquête. Ce matin je l'entendais expliquer que "la scène de crime" n'avait pas été examinée comme il fallait, que les pierres qui avaient servi à commettre le double meurtre n'avaient pas été analysées, que les vêtements des enfants n'avaient pas été portés au dossier...

Je ne veux pas du tout juger de la véracité de ces accusations, ce n'est pas l'objet de cet article. Mais en entendant le témoignage de cette femme, ce matin, j'avais l'impression de me retrouver dans une scène de la série Les Experts. Vous savez, cette série où l'on suit des membres de la police scientifique sur des scènes de crimes, justement. Le vocabulaire de cette femme était précis, et correspondait tout à fait à ce qu'on peut voir à la télé. Tout se passait comme si grâce (ou à cause) de cette série, n'importe qui pouvait savoir exactement ce que la police se devait de faire faire sur une scène de crime.

Le phénomène n'est pas nouveau : combien de personnes ont "appris" les gestes de premiers secours grâce à la série Urgences ? Combien de personnes "savent" comment un avocat doit faire pour défendre correctement un prévenu grâce à telle autre série ou tel film ? Bientôt nous saurons mieux que les médecins quoi faire pour sauver notre enfant/mari/ami qui vient d'avoir un accident de voiture. Bientôt nous saurons mieux que les policiers scientifiques comment enquêter sur les lieux d'un méfait.

Car oui, avec toutes ces fictions nous présentant de façon très réaliste la vie de tel ou tel corps de métier, maintenant, nous sommes tous des experts.