Vengeance

posté le 19 April 2007 à 13:12
Petit texte écrit hier soir dans le train, entre Bienne et Lausanne, en une heure quoi. N'en suis pas mécontent, c'est déjà ça.



Quelque chose me dérangeait dans son attitude : il semblait préoccupé, ailleurs. A l'évidence, ma présence le gênait. Il me dévisagea quelques secondes durant lesquelles je m'efforçai de rester impassible ; c'était lui qui m'avait convoqué, j'étais donc en position de force. Il avait à l'évidence eu besoin de ma présence, ce n'était pas le genre d'homme à vous inviter chez lui par pure politesse, bien qu'on se trouvât en plein samedi. Il m'avait fait m'asseoir dans un de ses fauteuils en cuir, sans trouver la force d'en faire de même. Sa position inconfortable de nécessiteux l'ennuyait peut-être trop pour qu'il daignât s'asseoir avec moi, pour qu'il se rabaissât une fois encore.
Quoi qu'il en fût, il ne m'avait toujours pas révélé la raison de ma présence en ces lieux. Alors que je m'apprêtais à lui adresser la parole, il me coupa dans mon élan et mon impassibilité : "alors comme ça, tu te fais ma femme, hein." Aïe.

Comment avait-t-il su ? Lui avait-t-elle dit ? Nous avait-on surpris ? N'avais-je pas été suffisamment prudent ? Impossible à dire ; cela n'avait cependant plus d'importance maintenant. Je le connaissais trop bien, il ne risquait pas de me pardonner de sitôt. C'était le genre d'hommes jaloux, brutaux, qui aime se venger, parce que s'énerver leur procure un de ces plaisirs viscéraux qui manquent toujours à la vie bourgeoise. Son honneur avait été bafoué, il n'allait pas passer à côté d'une occasion pareille. En un instant, nos rôles venaient de changer radicalement.
Je me trouvais en bien mauvaise position, et connaissant le tempérament de l'homme, ne pouvais m'empêcher de me voir déjà rongé par les asticots. Il ajouta : "je te comprends, au fond ; pas ton goût du romantisme ou ce genre de stupidités, mais le besoin de changement, le besoin d'interdit, l'envie d'aller voir ailleurs..."
Il fit quelques pas dans la pièce, au hasard. Il semblait beaucoup plus décontracté maintenant qu'il avait commencé son discours. Voilà qui me laissait un peu de répit, le temps qu'il le terminât. "Et puis Elise, c'est pas n'importe qui, le genre de femmes qui te marque, qui persiste dans ta rétine. Ce n'est pas pour rien que je l'ai épousée, hé ! Seulement vois-tu, c'est MOI qui l'ai épousée, pas toi, mon vieux."
Il m'appelait encore mon vieux, mais était-ce simplement le fruit de l'habitude ? Allait-il m'insulter ? En venir aux mains ? Quelque chose me dit que je finirais bientôt par le savoir.

"T'as pas à t'inquiéter, j'ai tout réglé. Dans une heure ou deux, tu sortiras d'ici plus blanc que neige, libéré", ajouta-t-il. Je ne pus m'empêcher de me sentir mal : suite à quoi aurais-je pu sortir d'ici la conscience tranquille ? Par "libéré", entendait-il "mort" ? Allait-il s'occuper définitivement de moi ? Mais au fond, nous étions tous les deux désarmés, et j'aurais très bien pu l'attaquer avec, disons, le pot de fleurs en verre qui ornait sa table de salon... Pourquoi dieu était-il maintenant si diablement calme ? Il devait avoir une idée derrière la tête, le genre d'idées qu'on ne mûrit pas sur l'instant, qu'il faut façonner longtemps avant leur exécution...
Un piège ? Avait-il mis un poison dans le verre qu'il m'avait offert auparavant ? Pas son genre... Il fallait qu'il se défoule sur moi... Ca devait le démanger, le ronger ! Mais pourquoi ce calme si troublant ? Réfléchissons : j'invite l'homme avec lequel m'a trompé ma femme, pourquoi faire ? Il n'allait peut-être pas me tuer ; il l'aurait sûrement déjà fait, et son discours n'était pas particulièrement solennel. Pas le genre de trucs qu'on raconte à un type qu'on va assassiner.
Et il restait là, à me débiter des évidences : "après tout, c'est la vie, pas vrai ? On n'y peut rien"... Où diantre était passé le vieux jaloux, celui qui avait débuté plus d'une rixe suite à un regard insistant lancé par un inconscient à sa femme ? Non, tout cela cachait quelque chose, c'était certain.

Il se dirigea vers l'armoire qui cachait le mur derrière lui. Avec un sang froid constipant, il en délogea un révolver qu'il braqua sur moi en un instant. Maintenant qu'il m'avait - enfin ! - à sa merci, il s'assit, et je ne pus m'empêcher de me sentir tout à fait stupide : j'aurais dû fuir pendant qu'il en était encore temps !
Trop tard.
Mais il n'avait pas encore tiré, et tant que je respirais, rien n'était définitivement joué. A ma grande surprise, il se remit à parler : "héhé, tu t'y attendais, pas vrai ? Pas trop mon genre, le pardon... tu verras... ça va te faire du bien... ma vie a toujours été odieusement ennuyeuse... au fond, j'avais besoin de changer d'air, de recommencer à zéro, heureusement que t'es là pour me distraire un peu..."
Je me décidai enfin à lui répondre. "Alors tu vas me flinguer comme ça, dans ton salon ? On a rarement vu moins irréfléchi, comme plan ! Je veux dire, en pleine nuit, dans une décharge déserte, d'accord... mais là, chez toi... ça ne te correspond pas, ce manque de préparation..."
Il s'était apparemment attendu à une telle remarque, puisqu'il me lança : "Haha, non, justement ! C'est là tout l'intérêt, vois-tu." Il posa son arme sur la table. Etrangement, cela ne me réconforta pas du tout. Qu'était-il donc en train de trafiquer ? Et moi, au fond, pourquoi restais-je planté là, penaud, au lieu de partir en courant ? Mais rien ne l'empêchait de m'abattre d'une froide balle dans le dos...

"Voilà l'idée, m'expliqua-t-il enfin : toi ou moi. Tu as le choix, soit tu prends ce revolver et tu me tues, là, dans mon salon, soit tu me laisses t'assassiner. Quoiqu'il arrive, c'est fini pour toi : tu peux me tuer, mais j'ai déjà appelé les flics, ils t'auront à coup sûr ; ou tu peux choisir de mourir. J'en ai assez, j'arrive bientôt à la retraite, tout ça m'ennuie. J'ai tout vu dans mon boulot, ma femme m'a trompé, je n'ai pas de descendance... Autant en finir."
Je tentai de réfléchir le plus vite et le plus pertinemment possible. Avait-il appelé la police ? Si oui, qu'allait-il faire ensuite s'il me tuait ? Se suiciderait-il ? Ou avait-il simplement bluffé ? Et si je le tuais ? Ne pourrais-je m'en sortir sans ennuis ?
"C'est un sacré dilemme, pas vrai ! Ricana-t-il. J'aimerais pas être à ta place. La mienne, j'y suis déjà, j'aimerais bien en changer. Heureusement que t'es là." Il avait perdu la raison ! Mais une chose était sûre : je n'avais pas envie de me faire tuer. Encore que... la prison, était-ce aussi horrible qu'on le disait ? Y avait-il beaucoup de balles dans son barillet ? Pourrais-je vivre longtemps après avoir commis un tel acte ? J'avais bien couché avec sa femme, j'étais loin d'avoir la conscience tranquille !
Tout à coup, je me rendis compte de la meilleure chose à faire. Je fus frappé de ne pas y avoir pensé plus tôt, tellement cela me sembla limpide. Je ramassai vivement l'arme sur la table (précaution inutile, il n'avait pas bougé d'un sourcil), puis la dirigeai vers lui.
"Allez, vas-y !" S'exclama-t-il, l'air presque enjoué. Le tuer ne valait pas le coup. J'appuyai sur la gâchette. Il s'agissait bien de la meilleure façon de régler cette histoire... il allait devoir refaire sa tapisserie.

Après avoir vidé mon chargeur dans le mur derrière lui, je lançai l'arme par la fenêtre, et me rendis en courant jusqu'à ma voiture qui m'attendait dans le jardin. Avant de le quitter, je pus le voir penaud, toujours debout, se demandant ce qui venait de se produire. Raté, mon gros ! Je n'allais pas gâcher ni ma vie ni la tienne à cause de ta stupide jalousie maladive.
Le soir même, j'avais fait mes bagages et m'apprêtais à quitter le pays. Il était bien capable de me poursuivre et de s'occuper définitivement de moi ; mais le pire était passé, puisque personne n'avait été tué, qu'aucun litre de sang n'avait été déversé...

Le lendemain, juste avant de partir pour l'aéroport, je tombai sur le journal, qui titrait : « Un entrepreneur tue sa femme puis se donne la mort »

Merde. Je ne m'attendais pas à un coup pareil. Il avait gagné, sa vengeance était accomplie. Je me retrouvais comme un idiot, la mort d'un vieil ami et surtout d'un amour sur la conscience.
Pourquoi ne l'avais-je pas tué pendant qu'il était encore temps ? Trop tard...



Et en boucle : The Dandy Warhols - Not If You Were The Last Junkie On Earth. Merci Violaine, t'es vachement culturée comme Fille. ;)
tags : texte

Commentaires

Ceacy a dit :
posté le 19 April 2007 à 13:46
Et merde, là, j'ai rien à dire : effectivement, ce texte est bon. Mais que je ne t'y reprenne plus, ruffian ! :)

Nanaski a dit :
posté le 19 April 2007 à 19:11
Oui mais de vous deux, qui écrit le mieux?

Fixateur a dit :
posté le 19 April 2007 à 19:54
Celui qui fait des alexandrins...

Ceacy a dit :
posté le 19 April 2007 à 20:45
Tu fais des alexandrins, maintenant ?

Fixateur a dit :
posté le 19 April 2007 à 21:46
Quel schizo ce mec.

Ceacy a dit :
posté le 20 April 2007 à 01:19
Tu es une voix dans ma tête.

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