La Fuite (chapitre 2)

posté le 13 June 2007 à 13:14
Résumé de l'épisode précédent : Joseph a fui tout ce qu'il connaissait afin de vivre une vie libre de toute contrainte, espère-t-il. Recueilli chez lui par un philosophe, on se doute qu'il n'y restera pas longtemps...


Les piaillements répétés d'oiseaux inépuisables réveillèrent Joseph, le lendemain matin. Il constata que Simon était absent, certainement en cours, pensa-t-il ; il fallait en profiter pour partir. Ne pas rester longtemps là où n'était pas sa place, telle était sa nouvelle devise. Il avait passé une partie de la soirée à causer avec son hôte des raisons qui l'avaient poussé à fuir, et Simon avait mis le doigt sur un point capital : s'il n'avait pas de but précis, il risquait d'errer longtemps, de finir dépité et de rentrer chez lui, bêtement. Joseph avait rétorqué qu'au fond, c'était ce qu'il aimait dans sa fuite : pas de but, la liberté.
Voulait-il vraiment être libre ? A quel prix ? Libre de quoi ? Libre des responsabilités, des ennuis, c'était ce qui lui convenait.
C'était immature, presque idiot, il en convenait volontiers, ne s'en défendait point. Si la liberté devait lui coûter quelques mauvaises opinions, tant pis ! Peut-être était-ce là la meilleure preuve qu'il était libre : face à tous les hommes enchaînés, à leur travail, à leurs amours, passions, il ne pouvait que passer pour quelqu'un d'instable et d'un peu fou. Le problème, c'est que sans travail, pas d'argent, et sans argent, comment vivre longtemps ? Plus il la creusait, plus la question lui semblait insoluble. Allait-il se mettre à mendier ? Il avait encore du liquide dans sa poche, mais s'il se mettait à s'en abreuver, il s'évaporerait bien vite. Inutile donc de compter sur ses acquis : il devait trouver de l'argent. Il était résolu à ne pas voler, même de quoi se nourrir, car ses idéaux le lui refusaient ; il ne se voyait pas voleur, cette pensée lui était presque intolérable.
Être libre, c'est surtout être libre des lois ! Vole, puise dans les ressources des hommes, l'exhortait une partie de lui-même. Mais il n'y pouvait rien, son éducation gardait le dessus.
Il quitta donc l'appartement de Simon avant l'arrivée de ce dernier, en laissant tout ce qui s'y trouvait, sans y ajouter de message d'adieu. Il eut l'impression que ce n'était pas la dernière fois qu'il partirait sans un mot. Son coeur était léger, et pour la première fois depuis longtemps, l'allégresse emplissait son âme. L'inconnu lui ouvrait les bras, il était prêt à s'y plonger. S'y noierait-il ? Il le craignait un peu, mais gardait confiance dans la chance, le destin, bref, tout ce qui pouvait le faire tenir mentalement le plus longtemps sans regarder derrière lui.
Une journée entière venait de s'écouler depuis que Joseph était parti de chez lui. Aucun plan ne le guidait encore, et il laissait son esprit - ainsi que ses pieds - vagabonder, dans l'espoir de tomber sur une occasion d'être chanceux. Tomber amoureux, voilà ce qu'il me faudrait, se disait-il naïvement. Sombrer dans les abîmes de l'amour, séduire, se relever, tomber encore ! L'idéal eut été de séduire une jeune fille riche... L'idée lui plaisait, et, se promenant dans la vivante ville, il s'imaginait déjà aux pieds d'une princesse blanche, de maîtresses puissantes, de mille et une fées vibrantes et tourbillonnantes. Mais les filles qu'il croisait ne correspondaient malheureusement pas à ses fantasmes, puisqu'elles ne lui accordaient même pas un regard, et semblaient se préoccuper de toute autre chose que lui. Seul et étonné, il ne put repousser les nombreuses questions que la situation provoquait dans son esprit. Plus il y réfléchissait, plus la liberté l'effrayait. Allait-il rester ici longtemps ? Et s'il tombait vraiment amoureux ? Voulait-il tomber amoureux ? Cela ne le lierait-il pas justement à ce qu'il cherchait à fuir ? Etait-il raisonnable de penser à l'amour, alors qu'il n'avait même pas d'endroit où dormir ? La réalité de la dernière le fit trembler légèrement.
Heureusement pour son moral, ces questions s'éteignirent lorsqu'il parvint par hasard devant une librairie. Petit à petit, il se rendait compte qu'il poursuivait malgré tout un idéal : il voulait être un homme libre, mais un homme libre intelligent, clairvoyant, dont les idées balayeraient tout ce qui se trouverait sur son passage. Pour cela, il devait acquérir la connaissance : l'expérience de sa fuite lui en fournirait, le reste devait se trouver dans les livres. Après le rapide interrogatoire de quelques passants, il obtint la localisation de la bibliothèque de la ville, vers laquelle il se dirigea sans plus tarder. Ses pieds se déroulaient l'un après l'autre sur les lourds pavés des rues arpentées, suivant un rythme régulier et vif qu'il ne contrôlait pas vraiment.
Bientôt, l'imposant bâtiment de la bibliothèque municipale apparut à ses yeux, que d'abord il n'osa croire. Son immensité dépassait de loin ce que la description des passants lui avait fait espérer : alors qu'il s'était imaginé un vieux tas de briques sur quelques étages, c'était tout un palais qu'il observait avec émerveillement. Il s'approcha des marches en pierre blanche qui menaient vers l'entrée de l'édifice, remarquant avec intérêt les grandes statues qui semblaient calmement l'observer du haut de leur séculaire sagesse. Arrivé près de la vieille porte en bois, il eut un instant d'hésitation qu'il sut dépasser d'un geste brusque : les gonds lancèrent une longue plainte, et il se trouva finalement dans la bibliothèque.
L'intérieur était aussi rustique qu'il s'y attendait : de gigantesques étagères noircies par le temps, remplies de livres aux reliures brunes ou rouges peuplaient l'endroit avec majesté. Les vitres un peu verdâtres du bâtiment laissaient passer quelques rayons de lumière qui prenaient alors une teinte mystérieuse ; l'endroit n'en était que plus étourdissant. Quelques personnes occupaient également l'endroit, absorbées dans leurs recherches. On accédait apparemment aux bouquins les plus hauts placés à l'aide d'échelles qui se déplaçaient parallèlement aux rayonnages. Il était encore tôt, et la bibliothèque n'était pas très peuplée. Rassuré par l'absence de monde, Joseph flâna un peu parmi les rayons, s'essaya même à l'escalade, grisé par l'altitude et la connaissance qui s'offrait à lui. Il fit le tour de la place, ce qui lui prit une bonne vingtaine de minutes, tant l'endroit était imposant. Quelques rares fonctionnaires le croisèrent rapidement, sans l'inquiéter d'avantage. Il espérait tout de même rester ici assez longtemps : il partit ainsi en quête d'un endroit tranquille où il ne serait pas dérangé.
Un livre à la main, afin de ne pas paraître louche, il faisait le tour de la bibliothèque, l'oeil inquisiteur. L'immensité du bâtiment l'obligea à faire plusieurs détours, à changer de direction, à revenir sur ses pas ; plusieurs fois même il se crut perdu. Finalement, sa prospection et sa bonne vue le menèrent à la découverte d'un petit escalier de bois en colimaçon, qui lui avait échappé jusqu'alors. Le passage était caché par de nombreux cartons : il crut bon de les enjamber avec légèreté, avant de monter à l'étage. Bien que l'escalier craquait un peu sous son poids, l'ascension se fit sans difficulté. Il se trouvait maintenant dans une vieille section inutilisée de la bibliothèque, qui servait apparemment à entreposer des livres de nombreuses provenances. Joseph remarqua de nombreux bouquins très mal en point que l'on avait sûrement dû remplacer depuis leur arrivée ici.
L'absence de présence humaine poussa Joseph à explorer avec attention cette nouvelle partie de la bibliothèque : moins il y avait de monde, plus l'endroit lui conviendrait...
Après quelques minutes, il dénicha enfin un idéal petit coin : une maigre ouverture dans le mur, menant à ce qui semblait être une pièce exigüe. Elle était gardée par une antique statue en marbre, qui représentait ce que Joseph indentifia sans grande certitude comme étant un pirate en robe. De plus, l'endroit se trouvait tout au bout de la section du rangement, et il était caché par plusieurs grandes étagères remplies de vieux livres poussiéreux. Apparemment, on venait ici très rarement, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Non sans mal, il se glissa derrière la statue, heureux de sa nouvelle découverte. Quelques acrobaties plus tard, il se trouvait dans une petite pièce rectangulaire dont l'entrée et lui occupaient l'un des coins. Il constata que les murs étaient cachés par trois étagères, elles-mêmes couvertes d'une épaisse poussière noire. Une légère lumière emplissait la pièce, tout droit sortie d'une minuscule fenêtre située en-dessous du plafond. De nombreuses toiles servaient de logis aux araignées devenues depuis longtemps maîtresses du lieu, ce qui n'empêcha pas Joseph de s'en accomoder de bon coeur : il avait enfin trouvé un endroit où passer ses prochains jours, et c'était tout ce qui lui importait.




Tel que vous me lisez, là, je viens de faire un immense pas en avant : pour la première fois, un de mes textes prend un peu d'ampleur, et dépasse le simple début ou petit bout. Evidemment, je ne suis pas du tout satisfait de ce que j'ai écrit, c'est très mauvais, et je ne sais même pas pourquoi - du coup, je suppose que je me fais des idées...
Je vais aussi m'attaquer à la CSS, parce que les gros blocs lourds, c'est vraiment pas chaleureux...


Un peu de musique !

Blonde Redhead - 23



Drôle de pochette... :P
Un excellent album, stout.
tags : 2, fuite, texte

Commentaires

Ceacy a dit :
posté le 13 June 2007 à 19:35
Pas mal du tout ... si je n'avais qu'un reproche à faire, ce serait le narrateur trop présent qui explique. Non pas qu'expliquer certaines motivations ou certains actes de Joseph soit une mauvaise idée, mais par moment, j'ai l'impression que ça fait trop.
M'enfin, bref, on attend le troisième, maintenant. Tu viens de mettre un doigt dans un engrenage :)

Fixateur a dit :
posté le 14 June 2007 à 12:35
Oui, à la relecture, je me suis dit que certaines interrogations étaient de trop dans la narration, parfois : c'est pourquoi je vais probablement vite rajouter des personnages secondaires qui discuteront directement avec Joseph, m'évitant de devoir tout expliquer à sa place.
Et je suis très content d'avoir mis le doigt dans un engrenage... c'est presque ce qui me manquait, ces temps ;)

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