contrat

Le Contrat

posté le 13 May 2007 à 23:38
Un peu plus beurk que le précédent !

Le ciel et Robert se contemplaient. Il faisait beau. Un long coussin entre ses fesses et sa chaise longue en plastique blanc, il tenait dans ses gros doigts ce qui devait être le plus important contrat de sa vie. Il l'avait conclu le matin même avec un des partenaires de l'entreprise dans laquelle il travaillait maintenant depuis plus de vingt ans, et ces quelques feuilles représentaient l'avènement de plusieurs mois de négociations, ainsi qu'une augmentation majeure à venir. Son avenir tenait dans ces quelques pages. Plus que satisfait, il s'alla à rêvasser, s'imaginant dans un nouvel appartement qu'il meublait déjà en pensée ; une nouvelle voiture - d'une grande marque bien entendu -, lui sur le siège du conducteur, les mains tenant fermement le volant ; peut-être enfin une femme, attirée par son nouveau statut...
Le soleil aidant, Robert se sentit somnoler, puis s'endormit finalement. La tête en arrière, bouche ouverte, il se mit à ronfler avec conviction, alors que les yeux les plus observateurs pouvaient remarquer le coup de soleil qui se dessinait progressivement sur son nez. Il serrait toujours le contrat, qui se trouvait maintenant entre son ventre nu et sa main gauche, la droite pendant nonchalamment sur le côté de la chaise longue. Il semblait que son subconscient attachait autant d'importance à son contrat que lui, puisque même endormi, il ne fit pas un pli au précieux document. Tout allait pour le mieux, ce n'était pas une vulgaire sieste qui ruinerait sa carrière...
Tout à coup, Robert sentit quelque chose remuer dans sa bouche. Il ne se réveilla pas immédiatement, mais après quelques secondes ne put faire autrement : ce qui se trouvait être un imposant hanneton (Robert ignorait évidemment de quel animal il s'agissait) avait décidé, satisfait, d'explorer plus avant la gorge de notre dormeur réveillé. Ce dernier s'agita, poussa quelques cris étouffés, et, dans un geste désespéré, se précipita pour attraper à l'aide de ses larges doigts la bestiole qui s'agitait près de ses molaires. Malheureusement, tout à fait paniqué, Robert serra l'insecte avec une force bien trop importante pour l'exosquelette en chitine de ce dernier, ce qui le fit éclater au milieu de sa bouche, libérant un liquide gluant et malodorant qui coula sur sa langue, entre ses dents, et commença à s'immiscer lentement dans sa gorge.
Dans un réflexe humain et tout à fait compréhensible, il ne put alors s'empêcher de vomir en sanglotant, projetant un liquide qui devait être un mélange de son dîner et de morceaux de carapace de hanneton. Bien qu'il ait réussi à éviter le contrat lorsque ses doigts étaient couverts de morceaux d'insecte, il ne put cette fois protéger le précieux papier, qu'il submergea inévitablement d'une substance brunâtre et grumeleuse. Il resta là, courbé en avant, du vomi recouvrant son ventre, ses jambes, sa chaise longue, son contrat : des larmes coulaient sur ses joues rouges.
Un malheureux insecte venait de mettre fin à sa carrière. Robert ne put se résoudre à rendre le contrat à son patron, ni à rappeler l'autre entreprise pour négocier un nouveau contrat... Et finalement, ne pouvant raconter sa tragique aventure à personne, il décida de démissionner, histoire de quitter l'entreprise avec un peu de fierté. Jusqu'à la fin de ses jours (qu'il provoqua d'ailleurs, à l'aide d'un canon de pistolet judicieusement pointé), il ne cessa plus de s'en vouloir : pourquoi diable avait-il gardé l'original d'un contrat aussi important sur sa chaise longue, dans son jardin, à la merci de tout ce qui passait par là ? Pourquoi ne s'était-il pas retenu ? Pourquoi n'avait-il pas tourné la tête au moment opportun ?
Jamais il n'eut de réponse à ses questions, mais il soupçonna longtemps une force supérieure de s'être joué de lui.
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