Suicidons-nous ?
posté le 19 June 2007 à 01:35
J'avais l'autre jour une discussion avec un vieil ami, qui faisait la distinction entre deux formes de suicide : le suicide que l'on pourrait appeler émotionnel, dû au désespoir, à la tristesse, etc, ; et le suicide dit rationnel, celui du nihiliste qui pense qu'il sera mieux mort, point, même s'il ne déprime pas sur l'instant. Les suicides de nihilistes non déprimés sont rares, à vrai dire, je pense qu'il n'y en a quasiment aucun, et les grands esprits qui s'y adonnent sont bien vite oubliés - et pour cause. Leurs raisons philosophiques sont à la fois nombreuses et compréhensibles : l'incompréhension de l'existence (humaine ou non), la complexité de la vie et le caractère insoluble des grandes questions existentielles, les innombrables difficultés de la vie humaine, l'absence de grand but...
La dernière est primordiable. A l'homme qui réfléchit, la situation paraît claire : la nature de toute vie est de continuer à être la vie, coûte que coûte. Il n'y a pas de finalité, pas de résolution : notre seul but, en tant qu'être vivant, est de continuer à exister. S'il n'y avait que ça ! Nous pourrions nous contenter de vivre comme des larves... Mais la nature nous pousse aussi à exister le mieux possible, il faut se battre, gagner, être le meilleur, répandre son ADN ; l'humain qui ne suit pas le mouvement, qui combat sa nature, cet humain est malheureux.
Une fois l'étrange piège que la nature nous a tendu compris, plusieurs choix s'offrent à nous. Nous pouvons évidemment suivre notre détermination première, ce que la plupart des humains font, sans même se rendre compte de la situation. Tout leur être est tourné vers la survie : ils mangent, dorment, ils travaillent, étudient, se font bien voir en société, et enfin ils font des enfants. Des purs produits de la logique biologique, en somme. Développer une philosophie en ce sens est aisé : la nature nous a faits ainsi, nous sommes nés pour faire cela, faisons-le, nous serons heureux. Pas plus compliqué que ça !
Nous pouvons également tenter de dépasser cette situation. Cette solution est bien sûr vaine, puisque soit nous sommes en vie, auquel cas nous obéissons ; soit nous sommes morts, auquel cas toute tentative n'est plus possible. Certains pourraient prétendre dépasser leur état en comprenant le monde, en expliquant, en développant une certaine culture, un culte de l'intellect, etc., qu'ils opposeraient à la nature vile et matérielle de leur situation. Certains l'ont fait, et certains le font encore. Mais, comme nous l'avons dit, ils tombent ainsi intrinsèquement dans la contradiction : par le simple fait d'être vivants, ils ne combattent plus leur état, au contraire, ils ne sont que subordination à leur nature première. L'homme qui veut dépasser la vie est vain : soit il vit, soit il est mort, dans les deux cas, le dépassement est impossible. On notera avec intérêt qu'au fond, toute forme de religion suppose ce genre de réflexion : la vie mortelle est sale, imparfaite, vénérons plutôt un monde immatériel dans lequel nous n'obéirions plus aux lois de l'humanité. La critique de la sexualité, de la matière, de toute forme de joie autre que divine sont des caractères inhérents aux religions. Je ne suis pas le premier à le dire, ça, nombreux sont les athées qui l'ont vu : de Nietzsche à... Cohen, en particulier au travers du personnage fantastique de Solal (juif), qui a compris que ses pères cherchaient à dépasser leur condition d'homme, sans succès évidemment, mais avec un but tout à fait compréhensible et - ironiquement - humain, au fond. Lisez Belle du Seigneur. J'en parlerai à l'occase, il faut que je le relise. Ce livre est une oeuvre gigantesque.
Ainsi, face à notre condition d'homme, il nous reste une ultime solution, qui nous ramène donc au début de ce merveilleux texte : le suicide. Le suicide rationnel en l'occurence, philosophique en fait, motivé par le discours qui suit logiquement. L'homme qui ne veut ni suivre ses instincts, parce qu'il trouve ça déshonorant, parce qu'il pense qu'il en souffrira trop, parce qu'il devra se plier à des lois trop simples pour lui, ou simplement parce que la vie lui paraît fade / compliquée / troublante ; qui ne tente pas non plus de vainement dépasser son état d'humain, cet homme se tourne invariablement vers le suicide. Evidemment, dans un tel cas, la mort est dépouillée de toute logique religieuse : il n'y a rien après la vie, pas de paradis, pas d'enfer, rien. C'est la mort du Moi, du Je, celui qui disait Je s'est tu (j'adore ce jeu de mots !). Ca n'est ni bon, ni mauvais, en fait, ça échappe à tout jugement et compréhension humains, puisque c'est irrévocablement non-humain. Comme avant la vie, oui. Que sentiez-vous en l'an 1900 ? Rien ? Voilà la mort. Facile !
La mort, pour le brave nihiliste de ses instincts, passe un peu pour le nirvana : comme nous l'avons dit plus haut, tous les ennuis inhérents à l'existence humaine disparaissent, y compris la subordination à son instinct. Le suicide, c'est la libération de la vie, de tous ses ennuis, mais pas dans le sens classique du terme : on ne se libère pas de sa petite vie, on se libère de l'implacable logique - presque mécanique - de la Vie. Cette solution est idéale, philosophiquement : c'est l'absence de questions, d'ennuis, de problèmes, d'envies, de désirs insatisfaits, etc. On lui oppose cependant de nombreux arguments (et j'aurais beaucoup à dire sur ce sujet, tentons d'être compréhensifs) : au fond, il s'agit d'un raisonnement tout à fait in-humain, donc logiquement condamné par le reste de l'humanité. La cause de cette condamnation est évidente : poussés par leur instinct de survie, les autres hommes ne peuvent que condamner tout agissement dangereux pour leur espèce. L'instinct - et c'est au fond là toute son essence ! - n'aime pas qu'on s'attaque à lui, et ses réactions sont violentes. On n'aime pas les suicidaires. On les comprend peut-être, parce qu'ils étaient malheureux, mais s'ils ne l'étaient pas... alors on les déteste, on les hait, on les vomit.
La dernière solution est compréhensible et logique d'un point de vue purement philosophique : si l'on est motivé uniquement par son propre "bonheur", par une satisfaction idéale de son être, et qu'on souhaite éviter les tracas du monde, c'est LA solution. Etrangement, cette logique ne s'accorde absolument pas avec la logique humaine, qui nous affecte tous : l'instinct ne veut pas de notre mort.
Sur terre, il pousse des Je. Ils sont malheureux, seuls certains le savent, d'autres pas. Ils meurent tous, à force. Mais ils ne peuvent pas vouloir mourir, ils n'y arrivent pas, car ils sont condamnés à vouloir vivre. Ces Je ne peuvent s'en prendre à personne : ce n'est pas la faute d'autres entités s'ils sont condamnés à avoir besoin d'exister, il s'agit de leur être propre, c'est fondamentalement inscrit dans eux-mêmes. S'il y avait un Dieu, ils pourraient l'accuser... il n'y en a pas. Certains y croient, mais alors ils ont peur, et ils ne l'accusent pas. Les autres, ceux qui n'y croient pas, ceux-là se divertissent. Ils jouent, ils pensent à autre chose, font autre chose, me direz-vous. Et non ! Ils ne font pas autre chose, au contraire : ils font tout ce que leur instinct leur dit. Ils sont esclaves, et même lorsqu'ils pensent se distraire, ils le restent. Ils sortent voir des gens ? L'instinct. Ils vont draguer les membres qui leur plaisent le plus ? L'instinct. Ils écrivent pour acquérir l'affection de leurs pairs ? ... l'instinct...
Post e-scriptum : C'est génial, quand j'écris, je ne suis plus malheureux. Apparemment, il n'y a que ça qui fonctionne vraiment... le seul problème, c'est de se motiver.
En ce qui concerne ma situation dans ce bazar... difficile à dire, mon scepticisme m'empêche de trancher véritablement. De plus, le facteur humain reste très imposant : les gens autour de moi ne pourraient pas me laisser me suicider, et je ne peux pas ignorer cela. Certes, ensuite, tout irait bien, mais au moment de prendre la décision, il faudrait tout de même faire avec cet embarras...
En temps normal, j'aurais dit qu'on pouvait s'amuser, et que la vie c'était pas si mal en fin de compte, que la philosophie simple du développement de notre instinct était convenable... Là, je suis un peu déprimé, donc bon, ça sera pour une autre fois, le discours gnangnang joyeux :)
Je ne suis vraiment pas à ma place sur cet asile. Pas que je ne suis pas fou - ça... -, simplement, j'ai quaaand même l'impression de constraster avec les blogs autour de moi... Bon, ça, on l'avait déjà remarqué, me direz-vous. Si j'y reste, c'est surtout parce qu'il s'agit d'un endroit simple où je peux écrire sans me poser de question (haha, à la relecture, si, en fait, plutôt !), et que je possède ensuite une url facile à passer à ceux que ça intéresse. Sans compter que Ceacy visite ce petit coin, et ça, ça n'a pas de prix. Je me demande si vous me méritez vraiment...
Allez ! La chanson du jour, qui m'a accompagné durant tout ce texte. Le dernier album des White Stripes (Icky Thump) est très bon aussi.
La dernière est primordiable. A l'homme qui réfléchit, la situation paraît claire : la nature de toute vie est de continuer à être la vie, coûte que coûte. Il n'y a pas de finalité, pas de résolution : notre seul but, en tant qu'être vivant, est de continuer à exister. S'il n'y avait que ça ! Nous pourrions nous contenter de vivre comme des larves... Mais la nature nous pousse aussi à exister le mieux possible, il faut se battre, gagner, être le meilleur, répandre son ADN ; l'humain qui ne suit pas le mouvement, qui combat sa nature, cet humain est malheureux.
Une fois l'étrange piège que la nature nous a tendu compris, plusieurs choix s'offrent à nous. Nous pouvons évidemment suivre notre détermination première, ce que la plupart des humains font, sans même se rendre compte de la situation. Tout leur être est tourné vers la survie : ils mangent, dorment, ils travaillent, étudient, se font bien voir en société, et enfin ils font des enfants. Des purs produits de la logique biologique, en somme. Développer une philosophie en ce sens est aisé : la nature nous a faits ainsi, nous sommes nés pour faire cela, faisons-le, nous serons heureux. Pas plus compliqué que ça !
Nous pouvons également tenter de dépasser cette situation. Cette solution est bien sûr vaine, puisque soit nous sommes en vie, auquel cas nous obéissons ; soit nous sommes morts, auquel cas toute tentative n'est plus possible. Certains pourraient prétendre dépasser leur état en comprenant le monde, en expliquant, en développant une certaine culture, un culte de l'intellect, etc., qu'ils opposeraient à la nature vile et matérielle de leur situation. Certains l'ont fait, et certains le font encore. Mais, comme nous l'avons dit, ils tombent ainsi intrinsèquement dans la contradiction : par le simple fait d'être vivants, ils ne combattent plus leur état, au contraire, ils ne sont que subordination à leur nature première. L'homme qui veut dépasser la vie est vain : soit il vit, soit il est mort, dans les deux cas, le dépassement est impossible. On notera avec intérêt qu'au fond, toute forme de religion suppose ce genre de réflexion : la vie mortelle est sale, imparfaite, vénérons plutôt un monde immatériel dans lequel nous n'obéirions plus aux lois de l'humanité. La critique de la sexualité, de la matière, de toute forme de joie autre que divine sont des caractères inhérents aux religions. Je ne suis pas le premier à le dire, ça, nombreux sont les athées qui l'ont vu : de Nietzsche à... Cohen, en particulier au travers du personnage fantastique de Solal (juif), qui a compris que ses pères cherchaient à dépasser leur condition d'homme, sans succès évidemment, mais avec un but tout à fait compréhensible et - ironiquement - humain, au fond. Lisez Belle du Seigneur. J'en parlerai à l'occase, il faut que je le relise. Ce livre est une oeuvre gigantesque.
Ainsi, face à notre condition d'homme, il nous reste une ultime solution, qui nous ramène donc au début de ce merveilleux texte : le suicide. Le suicide rationnel en l'occurence, philosophique en fait, motivé par le discours qui suit logiquement. L'homme qui ne veut ni suivre ses instincts, parce qu'il trouve ça déshonorant, parce qu'il pense qu'il en souffrira trop, parce qu'il devra se plier à des lois trop simples pour lui, ou simplement parce que la vie lui paraît fade / compliquée / troublante ; qui ne tente pas non plus de vainement dépasser son état d'humain, cet homme se tourne invariablement vers le suicide. Evidemment, dans un tel cas, la mort est dépouillée de toute logique religieuse : il n'y a rien après la vie, pas de paradis, pas d'enfer, rien. C'est la mort du Moi, du Je, celui qui disait Je s'est tu (j'adore ce jeu de mots !). Ca n'est ni bon, ni mauvais, en fait, ça échappe à tout jugement et compréhension humains, puisque c'est irrévocablement non-humain. Comme avant la vie, oui. Que sentiez-vous en l'an 1900 ? Rien ? Voilà la mort. Facile !
La mort, pour le brave nihiliste de ses instincts, passe un peu pour le nirvana : comme nous l'avons dit plus haut, tous les ennuis inhérents à l'existence humaine disparaissent, y compris la subordination à son instinct. Le suicide, c'est la libération de la vie, de tous ses ennuis, mais pas dans le sens classique du terme : on ne se libère pas de sa petite vie, on se libère de l'implacable logique - presque mécanique - de la Vie. Cette solution est idéale, philosophiquement : c'est l'absence de questions, d'ennuis, de problèmes, d'envies, de désirs insatisfaits, etc. On lui oppose cependant de nombreux arguments (et j'aurais beaucoup à dire sur ce sujet, tentons d'être compréhensifs) : au fond, il s'agit d'un raisonnement tout à fait in-humain, donc logiquement condamné par le reste de l'humanité. La cause de cette condamnation est évidente : poussés par leur instinct de survie, les autres hommes ne peuvent que condamner tout agissement dangereux pour leur espèce. L'instinct - et c'est au fond là toute son essence ! - n'aime pas qu'on s'attaque à lui, et ses réactions sont violentes. On n'aime pas les suicidaires. On les comprend peut-être, parce qu'ils étaient malheureux, mais s'ils ne l'étaient pas... alors on les déteste, on les hait, on les vomit.
La dernière solution est compréhensible et logique d'un point de vue purement philosophique : si l'on est motivé uniquement par son propre "bonheur", par une satisfaction idéale de son être, et qu'on souhaite éviter les tracas du monde, c'est LA solution. Etrangement, cette logique ne s'accorde absolument pas avec la logique humaine, qui nous affecte tous : l'instinct ne veut pas de notre mort.
Sur terre, il pousse des Je. Ils sont malheureux, seuls certains le savent, d'autres pas. Ils meurent tous, à force. Mais ils ne peuvent pas vouloir mourir, ils n'y arrivent pas, car ils sont condamnés à vouloir vivre. Ces Je ne peuvent s'en prendre à personne : ce n'est pas la faute d'autres entités s'ils sont condamnés à avoir besoin d'exister, il s'agit de leur être propre, c'est fondamentalement inscrit dans eux-mêmes. S'il y avait un Dieu, ils pourraient l'accuser... il n'y en a pas. Certains y croient, mais alors ils ont peur, et ils ne l'accusent pas. Les autres, ceux qui n'y croient pas, ceux-là se divertissent. Ils jouent, ils pensent à autre chose, font autre chose, me direz-vous. Et non ! Ils ne font pas autre chose, au contraire : ils font tout ce que leur instinct leur dit. Ils sont esclaves, et même lorsqu'ils pensent se distraire, ils le restent. Ils sortent voir des gens ? L'instinct. Ils vont draguer les membres qui leur plaisent le plus ? L'instinct. Ils écrivent pour acquérir l'affection de leurs pairs ? ... l'instinct...
Post e-scriptum : C'est génial, quand j'écris, je ne suis plus malheureux. Apparemment, il n'y a que ça qui fonctionne vraiment... le seul problème, c'est de se motiver.
En ce qui concerne ma situation dans ce bazar... difficile à dire, mon scepticisme m'empêche de trancher véritablement. De plus, le facteur humain reste très imposant : les gens autour de moi ne pourraient pas me laisser me suicider, et je ne peux pas ignorer cela. Certes, ensuite, tout irait bien, mais au moment de prendre la décision, il faudrait tout de même faire avec cet embarras...
En temps normal, j'aurais dit qu'on pouvait s'amuser, et que la vie c'était pas si mal en fin de compte, que la philosophie simple du développement de notre instinct était convenable... Là, je suis un peu déprimé, donc bon, ça sera pour une autre fois, le discours gnangnang joyeux :)
Je ne suis vraiment pas à ma place sur cet asile. Pas que je ne suis pas fou - ça... -, simplement, j'ai quaaand même l'impression de constraster avec les blogs autour de moi... Bon, ça, on l'avait déjà remarqué, me direz-vous. Si j'y reste, c'est surtout parce qu'il s'agit d'un endroit simple où je peux écrire sans me poser de question (haha, à la relecture, si, en fait, plutôt !), et que je possède ensuite une url facile à passer à ceux que ça intéresse. Sans compter que Ceacy visite ce petit coin, et ça, ça n'a pas de prix. Je me demande si vous me méritez vraiment...
Allez ! La chanson du jour, qui m'a accompagné durant tout ce texte. Le dernier album des White Stripes (Icky Thump) est très bon aussi.
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