Game Over.
posté le 18 December 2005 à 23:46
C'était un raté. Tout le monde s'accordait sur ce point : ses parents, ses professeurs, et même son ex-future petite amie. Non pas qu'il fût stupide ou incapable, loin de là : simplement, il semblait se refuser à tout effort, à tout travail.
Selon l'avis de tous, il aurait pu être élève brillant ; il plafonnait à quatre de moyenne. A dix-sept ans, il n'avait visiblement aucun contact social, ni ami ni relations : à vrai dire, il ne sortait de sa chambre que pour manger, aller aux toilettes et rétablir le courant lorsqu'il disjonctait.
En revanche, il jouait. Beaucoup. Des nuits, entières, scotché à son écran, il s'immergeait dans un monde où les nains vous regardent de haut, et où les elfes ne détournent pas des millions. Il y devenait barde, héros ou mage, défendait la justice ou pourfendait la veuve et l'orphelin. Déçu d'un monde sans magie, il s'était réfugié dans un autre.
Ce matin-là, il se réveilla comme d'habitude, affalé devant son clavier. Au cours de son sommeil, sa main avait glissé, et manqué de peu de renverser son coca sur l'unité centrale - preuve, s'il en est, que Dieu existe, et qu'il joue à warcraft.
Les yeux explosés et bouffis, il se relève et titube vers la salle de bains, avec l'élégance de tout individu masculin au réveil. Après un rapide regard à l'horloge - 11h52, tant pis pour le TP de physique, il se décide à prendre une douche. L'eau froide le réveille un peu, il se sent d'aplomb pour aller massacrer quelques gobs avant de décongeler une pizza. En passant devant le miroir de la salle de bains, quelque chose accroche son regard; instinctivement il tourne la tête. Ferme les yeux. Les rouvre. Lève la tête. Non, il ne rêve pas : il y a deux barres lumineuses au dessus de sa tête, une verte et une rouge.
Il a un mouvement de recul, et heurte de l'épaule une étage. Sous le choc, un tube de mousse à raser lui tombe dessus, il lève les mains pour se protéger ...
Un flash de lumière. Le tube est par terre, en train de se calciner. Il regarde ses mains sans comprendre, regarde à nouveau les deux barres : la rouge semble avoir un peu rétréci.
Pas de panique. Le gruyère de la veille ne devait pas être frais, c'est tout. Il pointe un doigt vers la porte, juste pour vérifier : rien. Ouf.
Il sort de la salle de bains, se dirige vers le frigo, l'ouvre. Une pizza aux trois fromages, quelques canettes de coca, trois bouteilles de bière, un bout de truc vert suspect, et deux tranches de jambon encore comestibles deux jours. Il prend une bière, cherche des yeux un décapsuleur : merde, il l'a encore paumé. Il tente de l'ouvrir avec la main : il s'écorche, ça fait mal. En jurant, il secoue ses doigts, pour chasser la douleur : une lueur bleutée se forme, comme suintant de ses ongles. Elle prend de l'ampleur, il panique, elle englobe désormais tout son bras, tout son torse. Il crie, trop tard : il est désormais entièrement entouré de cette lumière bizarre. Comme un égaré au lendemain de Tchernobyl, il est nimbé d'une aura, mais il n'a plus vraiment peur. Au contraire, il sent comme un picotement sur toute la surface de son épiderme, et ses mouvements lui paraissent plus souples, ses gestes plus rapides. Au dessus de lui, la petite barre rouge a encore rétréci.
Souriant comme un dément, il attrape un jean, l'enfile en vitesse, ouvre la porte de son appartement et se précipite dans les escaliers. Il faut qu'il montre ça à quelqu'un. Sans prêter attention aux feux tricolores, il traverse la rue, sous les klaxons et les cris des automobilistes, qui voient un cinglé aux allures de schtroumpf leur passer devant le pare-choc. Un type en roller, trop absorbé par la conversation animée qu'il tient au téléphone, ne parvient pas à s'arrêter, lui crie de faire attention, et lui rentre dedans. La lueur bleue semble se comprimer, l'homme au portable est par terre. Lui, en revanche, n'a pas bougé : il n'a éprouvé aucune douleur, il se sent fort. Alors, c'est ça, la magie ?
Il court comme un dératé vers l'entrée du métro. Au moment de passer le tourniquet, il tend le bras, quelque chose fuse, il traverse les débris fumants devant les yeux des guichetiers médusés. Les portes du métro se refermaient ; d'un geste, il les ouvre, et entre fièrement. Peu s'aperçoivent de quoi que ce soit, il est de mise d'être aveugle dans les transports en commun, et ce n'est pas un jeune hagard et auréolé de lumière qui va y changer quoi que ce soit. De son côté, la barre rouge n'est guère plus qu'un point, désormais.
Il sort trois stations plus loin, comme ivre, se précipite hors du métro. Il va aller au lycée, et leur montrer, à tous, qu'il ne se trompait pas, qu'il avait raison, que sa vie n'était pas qu'un mensonge. Il court à travers la chaussée, invincible et triomphant. Le petit point rouge s'estompe et disparaît, l'aura commence à trembloter. Le bus, lui, est bien réel, et le chaffeur n'a pas le temps de freiner. Il se le prend de plein fouet, son enveloppe de lumière, fragilisée, vole en éclats. Il a du sang dans la bouche, le chauffeur du bus se tient la tête entre les mains, on entend une ambulance approcher, deux hommes en sortir. Lui ne voit plus rien, entend à peine, il a mal.
On le met sur un brancard.
"C'est quoi, ce truc ? Il a un trait vert au dessus du crâne, bordel !
- Où ça ?
- Ah, non, ça a disparu. J'ai dû rêver. Merde, il est tout froid : c'est trop tard."
Pas de respawn, cette fois.
Selon l'avis de tous, il aurait pu être élève brillant ; il plafonnait à quatre de moyenne. A dix-sept ans, il n'avait visiblement aucun contact social, ni ami ni relations : à vrai dire, il ne sortait de sa chambre que pour manger, aller aux toilettes et rétablir le courant lorsqu'il disjonctait.
En revanche, il jouait. Beaucoup. Des nuits, entières, scotché à son écran, il s'immergeait dans un monde où les nains vous regardent de haut, et où les elfes ne détournent pas des millions. Il y devenait barde, héros ou mage, défendait la justice ou pourfendait la veuve et l'orphelin. Déçu d'un monde sans magie, il s'était réfugié dans un autre.
Ce matin-là, il se réveilla comme d'habitude, affalé devant son clavier. Au cours de son sommeil, sa main avait glissé, et manqué de peu de renverser son coca sur l'unité centrale - preuve, s'il en est, que Dieu existe, et qu'il joue à warcraft.
Les yeux explosés et bouffis, il se relève et titube vers la salle de bains, avec l'élégance de tout individu masculin au réveil. Après un rapide regard à l'horloge - 11h52, tant pis pour le TP de physique, il se décide à prendre une douche. L'eau froide le réveille un peu, il se sent d'aplomb pour aller massacrer quelques gobs avant de décongeler une pizza. En passant devant le miroir de la salle de bains, quelque chose accroche son regard; instinctivement il tourne la tête. Ferme les yeux. Les rouvre. Lève la tête. Non, il ne rêve pas : il y a deux barres lumineuses au dessus de sa tête, une verte et une rouge.
Il a un mouvement de recul, et heurte de l'épaule une étage. Sous le choc, un tube de mousse à raser lui tombe dessus, il lève les mains pour se protéger ...
Un flash de lumière. Le tube est par terre, en train de se calciner. Il regarde ses mains sans comprendre, regarde à nouveau les deux barres : la rouge semble avoir un peu rétréci.
Pas de panique. Le gruyère de la veille ne devait pas être frais, c'est tout. Il pointe un doigt vers la porte, juste pour vérifier : rien. Ouf.
Il sort de la salle de bains, se dirige vers le frigo, l'ouvre. Une pizza aux trois fromages, quelques canettes de coca, trois bouteilles de bière, un bout de truc vert suspect, et deux tranches de jambon encore comestibles deux jours. Il prend une bière, cherche des yeux un décapsuleur : merde, il l'a encore paumé. Il tente de l'ouvrir avec la main : il s'écorche, ça fait mal. En jurant, il secoue ses doigts, pour chasser la douleur : une lueur bleutée se forme, comme suintant de ses ongles. Elle prend de l'ampleur, il panique, elle englobe désormais tout son bras, tout son torse. Il crie, trop tard : il est désormais entièrement entouré de cette lumière bizarre. Comme un égaré au lendemain de Tchernobyl, il est nimbé d'une aura, mais il n'a plus vraiment peur. Au contraire, il sent comme un picotement sur toute la surface de son épiderme, et ses mouvements lui paraissent plus souples, ses gestes plus rapides. Au dessus de lui, la petite barre rouge a encore rétréci.
Souriant comme un dément, il attrape un jean, l'enfile en vitesse, ouvre la porte de son appartement et se précipite dans les escaliers. Il faut qu'il montre ça à quelqu'un. Sans prêter attention aux feux tricolores, il traverse la rue, sous les klaxons et les cris des automobilistes, qui voient un cinglé aux allures de schtroumpf leur passer devant le pare-choc. Un type en roller, trop absorbé par la conversation animée qu'il tient au téléphone, ne parvient pas à s'arrêter, lui crie de faire attention, et lui rentre dedans. La lueur bleue semble se comprimer, l'homme au portable est par terre. Lui, en revanche, n'a pas bougé : il n'a éprouvé aucune douleur, il se sent fort. Alors, c'est ça, la magie ?
Il court comme un dératé vers l'entrée du métro. Au moment de passer le tourniquet, il tend le bras, quelque chose fuse, il traverse les débris fumants devant les yeux des guichetiers médusés. Les portes du métro se refermaient ; d'un geste, il les ouvre, et entre fièrement. Peu s'aperçoivent de quoi que ce soit, il est de mise d'être aveugle dans les transports en commun, et ce n'est pas un jeune hagard et auréolé de lumière qui va y changer quoi que ce soit. De son côté, la barre rouge n'est guère plus qu'un point, désormais.
Il sort trois stations plus loin, comme ivre, se précipite hors du métro. Il va aller au lycée, et leur montrer, à tous, qu'il ne se trompait pas, qu'il avait raison, que sa vie n'était pas qu'un mensonge. Il court à travers la chaussée, invincible et triomphant. Le petit point rouge s'estompe et disparaît, l'aura commence à trembloter. Le bus, lui, est bien réel, et le chaffeur n'a pas le temps de freiner. Il se le prend de plein fouet, son enveloppe de lumière, fragilisée, vole en éclats. Il a du sang dans la bouche, le chauffeur du bus se tient la tête entre les mains, on entend une ambulance approcher, deux hommes en sortir. Lui ne voit plus rien, entend à peine, il a mal.
On le met sur un brancard.
"C'est quoi, ce truc ? Il a un trait vert au dessus du crâne, bordel !
- Où ça ?
- Ah, non, ça a disparu. J'ai dû rêver. Merde, il est tout froid : c'est trop tard."
Pas de respawn, cette fois.
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Lecteur, avant toute chose, je me dois de t'avertir du contenu de cet encart. Je ne vais pas m'y étendre sur ce que je suis ou ne suis pas. Non pas pour ne pas t'ennuyer, c'est le cadet de mes soucis pour le moment, et puis ça arrivera tôt ou tard ; mais pour ne pas trop en dévoiler. Ce blog est le mien, et en tant que tel m'est dédié de long en large : me dépeindre — ou tenter de le faire — en quelques mots serait, plus qu'une erreur, un mauvais calcul. Et je déteste faire de mauvais calculs, ça me frustre.
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