La Machine à créer des Héros
J'ai écrit ceci ces derniers temps, c'est très court, et je ne sais pas du tout ce que ça vaut : je suis ouvert aux critiques, enfin au sujet du texte, hein. Rêvez pas, non plus.
LE BOURREAU
LE GARDIEN DE PRISON
LA GUILLOTINE
LE CURÉ
UNE JEUNE FILLE
UN HOMME
LA FOULE
DEUX ENFANTS
LA MACHINE À CRÉER DES HÉROS
Scène 1 : il est mort
LE BOURREAU
Je l'ai exécuté ce matin. Il était fier, il n'a pas versé une larme.
LE CURÉ, dans son coin. Il parle seul, au milieu des autres, sans écouter le reste de la conversation
Il n'a même pas voulu me parler. Je lui ai proposé l'absolution, et il a ri. Un athée de la pire espèce : pas le moindre remords.
LA FOULE
On était là pour le voir mourir, tous là ce matin., on l'a vu arriver entre les gardes. Il avait l'air un peu pâle, pas du tout la tête d'un sagouin.
UNE FEMME
Je lui ai craché dessus, il n'a même pas bronché. Une honte.
LA FOULE
Après tout ce qu'il a fait, la moindre des choses aurait été de ressembler à un criminel, de trembler un peu. Pour un peu, on aurait dit qu'il nous méprisait ! Comme si c'était lui qui nous jugeait.
LE CURÉ
Pas la moindre frayeur, la moindre crainte de l'enfer. C'est dégueulasse.
LA JEUNE FILLE
Il m'a paru grand au moment de mourir. Il n'a pas imploré, il n'a pas gémi, rien du tout. Je l'ai vu qui s'agenouillait, qui renvoyait le curé, et puis il a attendu. C'était presque beau. Avant que la lame ne tombe, j'ai vu ses lèvres qui bougeaient, et puis sa tête a roulé.
LA FOULE
Sa tête, quand elle est tombé, elle avait pas changé. Impassible, de quoi vous gâcher le divertissement. Je veux dire, on se lève tôt le matin, on attend deux heures dans le froid, c'est pour voir du sang et des larmes, c'est pas pour que ça soit bouclé en cinq minutes avec un condamné qui reste de marbre. En plus, avec tout ça, on ne sait même pas ce qu'il a dit avant de se faire zigouiller.
LE BOURREAU
Il a dit "Vous pouvez y aller, maintenant". Je crois.
Scène 2 : le monologue du gardien face à la guillotine
LE GARDIEN DE PRISON
Je l'ai à peine reconnu, ce matin. La ville entière parle de son courage, de sa force de caractère, maintenant ; de la manière dont il n'a pas failli, pas pleuré, pas tremblé, pas crié, pas prié. Tu es fière de toi ? Je l'aimais bien, moi, il était humain. Depuis trois mois que je m'en occupais, je l'ai entendu chaque soir, chaque nuit, chaque heure, griffer la porte avec ses ongles, et avec ses mains quand il n'a plus eu d'ongles.
Le brave que toute la ville a vu, il m'a supplié de lui ouvrir la porte, de lui ouvrir la fenêtre. Il voulait voir le ciel une dernière fois, une dernière fois chaque jour. Et à cause de toi, on se souviendra de lui comme d'une statue d'airain, inébranlable. C'est ça, la vérité ? Alors qu'il a imploré le ciel chaque minute qui lui restait, alors qu'il comptait les minutes en espérant qu'il allait se passer quelque chose, une amnistie, un miracle ! Je l'ai vu essayer de vendre son âme au diable, comme si le diable allait passer dans ma prison … il aimait la vie, mon prisonnier. Tu es fière de toi ? je ne le reconnais plus, maintenant que tout le monde en parle.
Un pigeon se pose sur la guillotine.
Tu t'en fous, en fait. Du moment que sa tête a bien roulé, toute belle comme il faut.
Scène 3 : elle est jugée
LE BOURREAU
Encore une ! Ça n'arrête plus … Elle était belle, elle n'avait pas vingt ans.
LE GARDIEN
Qu'importe l'âge, on est tous vieux quand on est mort. Mais c'est vrai, elle était jeune. Beaucoup de gens y passent, ces temps-ci, beaucoup trop, ça doit être dans l'air.
LE CURÉ
Je commence à me sentir inutile, moi, ici. Elle aussi, elle a refusé d'être absoute - et pourtant, elle avait une croix sur la poitrine, c'est quand même censé vouloir dire quelque chose. À croire que Dieu vaut moins quand on va le rejoindre.
Scène 4 : elle est morte
UNE VOIX DE FEMME, depuis une des coulisses
Les enfants, rentrez, maintenant, la nuit tombe !
UN GAMIN
Non mais tu as vu comment elle était ? Avec le soleil dans ses cheveux, et sa bouche tellement rouge … Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi beau !
UN AUTRE, un peu plus vieux
C'est bon, on a pigé, maintenant … tu n'as pas arrêté d'en parler de la journée ! Et ses yeux, et ses cheveux, et la façon dont elle était si droite en marchant, et son sourire devant le bourreau … ça l'a pas empêchée de mourir, d'être belle.
LE PREMIER
Tu comprends vraiment rien, toi … je sais pas, je n'arrive pas à m'empêcher d'y penser, c'est tout. Elle avait l'air tellement sûre d'elle, tellement vivante, comme si c'était la seule personne vivante ce matin, alors que toute la foule se pressait autour pour mieux voir. Et tu as vu comme tout le monde s'est tu quand elle s'est agenouillée ? Comme tout le monde a écouté ce qu'elle disait ? Il n'y a même pas eu de moqueries ou de sifflements, et personne n'a rigolé quand la tête est tombée. D'habitude, nous, on rigole.
Il reste immobile, à sourire.
Faut dire qu'elle était sacrément belle.
LE SECOND
Bon, tu fais ce que tu veux, moi je rentre. T'es bizarre, aujourd'hui.
Scène 5 : monologue du gardien face à la guillotine
LE GARDIEN, les traits creusés, vieilli
Et les gens parlent, ils parlent de toi et de tous ceux que tu engloutis, et ça empire de jour en jour. On te nourris bien, ces temps-ci, j'espère que tu es contente. Mes prisonniers, ils arrivent presque contents, au début j'en ai même entendu siffler. Ça me fait mal, moi, de les entendre siffler, et de savoir que bientôt ils arrêteront, et que ce sera des pleurs la nuit et des coups sur la porte. C'est pas toi qui les vois jour après jour entre les murs, et qui les sens tomber, de plus en plus haut à présent.
Ils entrent bourrés d'héroïsme et de grandes idées, évidemment, c'est ce qui se passe quand on voit les têtes rouler avec de la fierté dans les yeux. Mais après, c'est pas beau à voir, les grandes idées brisées et les rats qui rongent leur intégrité petit bout après petit bout, et d'entendre l'honneur qui s'en va avec le ciel au-dessus de la tête et le vent sur la peau. La traversée du désert, je suis le seul témoin, mais ça me donne un peu plus envie de pleurer à chaque fois, être témoin comme ça du moment où ils comprennent.
Un pigeon décolle de la guillotine.
Enfin, bon, comme d'habitude, tu t'en fous. C'est juste que j'ai besoin d'en parler à quelqu'un, et le curé est encore plus déprimé que moi. Ah, ça, pas de souci, ils sont bien droits et grands au moment de mourir, et le bourreau ne leur fait pas peur ! C'est avant qu'ils ont douté, et c'est avant qu'ils ont levé les bras au ciel et qu'ils se sont griffé les joues. Tout le monde les voit après la bataille, quand ils ont déjà perdu et qu'ils s'en moquent.
Il s'en va.
Scène 6 : la guillotine
LA GUILLOTINE
Et qu'est-ce que ça peut lui faire, au peuple, que les condamnés aient pleuré ? Qu'est-ce que ça change ? L'important, c'est qu'il les voie debout, c'est qu'il les voie braves. Tu te plains de leurs plaintes, tu ne supportes plus leurs gémissements … mais c'est égoïste, ça, c'est mesquin ! Une fois qu'ils sont morts bien fiers, une fois que leur chef est tombé sans broncher au milieu des spectateurs, qu'ils les ont impressionnés, réduits au silence - qui a raison, à ton avis ?
Moi, je fabrique des héros, et le peuple a besoin de héros. Ils ne sont peut-être héros que quelques minutes, quelques instants … et alors ? Après ces quelques minutes, une fois qu'ils sont bien morts, c'est toi qui mens.
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Quelques mots ...
Lecteur, avant toute chose, je me dois de t'avertir du contenu de cet encart. Je ne vais pas m'y étendre sur ce que je suis ou ne suis pas. Non pas pour ne pas t'ennuyer, c'est le cadet de mes soucis pour le moment, et puis ça arrivera tôt ou tard ; mais pour ne pas trop en dévoiler. Ce blog est le mien, et en tant que tel m'est dédié de long en large : me dépeindre — ou tenter de le faire — en quelques mots serait, plus qu'une erreur, un mauvais calcul. Et je déteste faire de mauvais calculs, ça me frustre.
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