Céphalée (2)
Je suis fichu, c'est certain. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne me trouvent. Merde, merde : comment ça a pu si mal tourner ? J'avais tout prévu : déterminer d'où venait le bruit, sonner à la porte, tirer sur tout ce qui bougeait dans l'appartement, et repartir. Simple, élégant : un plan parfait. Je disposais d'environ cinq minutes, le temps que la migraine se manifeste - cinq minutes que les boules Quiès me fournissaient, en retardant un peu l'échéance. Oui, c'était un plan parfait.
Quand le bruit a démarré, j'étais prêt. J'ai monté les escaliers quatre à quatre, collant l'oreille à chaque porte de palier afin de déterminer d'où il provenait, touchant les murs pour sentir les vibrations : au septième étage, tout était plus intense, plus proche. J'ai progressé dans les couloirs, concentré sur les sifflements de la perceuse ; et je l'ai trouvée. C'était la porte 3C. Elle était là, noire et banale, vibrant un peu : derrière, oui derrière était l'origine du mal. Il fallait en finir : j'ai serré très fort mon revolver, et frappé la porte.
Rien.
Je transpirais à grosses gouttes, et il ne me restait plus beaucoup de temps. J'ai frappé à nouveau ; la porte est restée de marbre. Qu'est-ce que je pouvais faire ? J'ai tiré dans la serrure. Elle n'a pas bronché : c'est beaucoup plus résistant que ce que je pensais, ces machins-là, ou alors j'avais visé à côté. Je me suis senti un peu ridicule, et surtout totalement désemparé - c'est à ce moment précis que quelqu'un a ouvert la porte. Quelqu'un avec une hache. Je crois bien que c'est vers cet instant que les choses ont commencé à ne pas se passer comme prévu.
Un grognement s'est élevé des profondeurs du nouveau venu, un mélange entre le raclement d'une benne à ordure et le grommellement d'un sanglier. Je suppose que c'était une manière de demander ce que je voulais, mais ce n'est qu'une hypothèse, et de toute façon, je n'étais pas en état de penser de manière cohérente. Ah, car accessoirement, il mesurait environ deux mètres dix de haut pour plus d'un mètre de large, avec des bras style séquoia, sans oublier bien entendu la hache. J'ai vaguement balbutié quelque chose, et commencé à reculer ; j'en avais totalement oublié le but de ma venue. Lui, en revanche, quand il a vu le revolver que j'avais toujours à la main, ça ne lui a pas plu : il a mugi à nouveau, de manière un peu moins agréable encore, et il a commencé à se pencher vers moi. C'était terrifiant. Heureusement, ce n'est pas évident de plier deux mètres de muscle et de machins divers ; le temps qu'il y arrive, j'avais repris mes esprits, et vidé mon chargeur sur sa chemise à carreaux.
J'ai sérieusement commencé à douter de mon revolver, là. En théorie, après un coup comme ça, il aurait au moins dû gémir un peu, recroquevillé dans une flaque de sang. C'est ce qui se fait, en général. Eh bien, pas du tout : à part les trous dans la chemise, le seul effet notable, c'est que ça l'a mis en rogne. Et en plus, les boules Quiès commençaient à me lâcher.
Les quelques instants suivants sont un peu flous dans ma mémoire : je crois avoir plongé par terre pour éviter de me retrouver broyé par les séquoias, avant de me redresser et de filer vers l'escalier de secours. Comment j'ai réussi à lui échapper, je n'en sais rien : je suis resté planqué dix bonnes minutes dans la cage d'escalier, terrorisé et entouré des sifflements de perceuses. Je l'entendais, quelques étages plus bas, ouvrir les portes avec des bruits peu encourageants, grogner et descendre pesamment les marches. Tôt ou tard, il allait remonter ; je n'en avais pas du tout envie. Finalement, j'ai décidé de redescendre au septième étage, histoire de récupérer mon pistolet oublié dans la débâcle. Au moins, lui, il avait une présence plutôt rassurante.
La porte de l'appartement 3C était restée ouverte : Goliath avait dû oublier de la fermer avant de partir me faire la peau. De l'intérieur, on ne voyait pas grand chose : une sorte de poussière noirâtre masquait la vue, comme si une locomotive à vapeur avait élu domicile dans l'immeuble. Ce qui est stupide, évidemment : une locomotive à vapeur n'aurait pas pu faire un boucan pareil, ou alors elle avait amené sa famille avec elle. Lentement, avec précaution, je me suis aventuré dans le petit corridor : après coup, bien sûr, je me rends compte que c'était parfaitement stupide, mais comme je l'ai déjà signalé, il est relativement difficile d'avoir les pensées claires quand on vous découpe le crâne à la scie sauteuse. Je n'y voyais pas à plus de trente centimètres, et en étais réduit à me diriger à l'oreille, vers la source de tout ce raffut. Pas trop dur, remarquez - en principe. N'empêche que j'ai dû me perdre, parce que je me souviens distinctement avoir marché au moins dix bonnes minutes avant de parvenir à la fin du couloir, dans une grande pièce un peu moins opaque, où l'on pouvait presque respirer. En passant la main sur ma joue, pour essuyer la suie, je me suis aperçu que du sang coulait de mes oreilles, et que vraiment, ce n'était pas normal. J'aurais bien passé un certain temps à m'apitoyer sur mes tympans, si autre chose n'avait pas soudainement requis tout ce qu'il me restait de concentration : il y avait un énorme trou dans le mur ! Et pas un trou standard, non : un trou comme creusé à la pioche, avec un tas de terre à l'extérieur et des poutres pour en consolider l'entrée. D'ailleurs, le mur d'en face avait subi le même traitement : poutres, cavité béante, cailloux éparpillés un peu partout. Pendant que je restais là, bouché bée, à essayer de déterminer à quel moment j'avais bien pu prendre des petites pilules multicolores, il y a eu un semblant de mouvement à l'entrée du premier trou. Et moins de dix secondes plus tard, il y avait beaucoup de mouvement à l'entrée du premier trou : environ une vingtaine de ... d'êtres, dont le plus grand n'atteignait pas ma hanche, était rassemblée, et me regardait en murmurant. Ils auraient presque eu l'air sympathiques, surtout après le géant psychotique de tout à l'heure, si leur bouche n'avait pas été remplie de petites dents très pointues, et surtout beaucoup trop nombreuses.
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Quelques mots ...
Lecteur, avant toute chose, je me dois de t'avertir du contenu de cet encart. Je ne vais pas m'y étendre sur ce que je suis ou ne suis pas. Non pas pour ne pas t'ennuyer, c'est le cadet de mes soucis pour le moment, et puis ça arrivera tôt ou tard ; mais pour ne pas trop en dévoiler. Ce blog est le mien, et en tant que tel m'est dédié de long en large : me dépeindre — ou tenter de le faire — en quelques mots serait, plus qu'une erreur, un mauvais calcul. Et je déteste faire de mauvais calculs, ça me frustre.
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